« Rêves de jeunesse », d’Alain Raoust : l’écart du monde

Dans Rêves de jeunesse, Alain Raoust met en scène, au sein du magnifique arrière-pays niçois, des personnages qui se cherchent un avenir.

Christophe Kantcheff  • 24 juillet 2019 abonné·es
« Rêves de jeunesse », d’Alain Raoust : l’écart du monde
© crédit photo : Shellac films

Salomé (Salomé Richard) a accepté comme job d’été de surveiller une déchetterie dans un petit village de l’arrière-pays niçois. Qu’est-ce que cela témoigne d’elle ? Qu’elle « en veut », comme le déclare la maîtresse des lieux en accueillant la saisonnière ? Ou que celle-ci est un peu paumée, ainsi que le lui dira plus tard Jessica (Estelle Meyer), plus observatrice ? Un lieu singulier, cette déchetterie : composée de trois bennes aux couleurs différentes et suggestives, l’une bleue, une autre blanche, la troisième rouge. L’essentiel de Rêves de jeunesse se déroule dans ce décor très cinématographique et propice aux symboles : rebut national, cimetière de notre société de consommation, potentiel de recyclage ou de nouvelle vie…

Cette déchetterie en recèle un autre, de symbole, qui résonne avec le titre du quatrième long métrage d’Alain Raoust : la fin d’un rêve. Celui du garçon qui y travaillait auparavant, et dont l’empreinte est encore fraîche. Sont toujours présents, comme s’il avait dû les abandonner rapidement, ses livres (au contenu politique), ses disques (des vinyles de Television, des Stooges, de Jacno…) et sa salopette de travail, que Salomé, sans le savoir, a revêtue à son tour. Ce jeune homme, prénommé Mathis, est récemment décédé, tué par une grenade de désencerclement qui s’est logée dans son sac à dos alors qu’il participait à une action dans une ZAD. Salomé a bien connu Mathis, elle a été naguère sa petite amie quand elle habitait encore la région. Elle y retourne alors qu’elle ne sait pas encore qu’il vient de mourir. Ce ne sont pas seulement les rêves d’une société meilleure, d’une rébellion permanente et d’une alternative à la vie capitaliste qui se sont évanouis avec sa disparition. Ce sont aussi ceux d’une jeunesse. Leur jeunesse.

Au sein de la nature qui s’épanouit sous le soleil mordant de l’été, dans cette région magnifique de monts, de vallées et de cours d’eau, dont la forte présence à l’écran pouvait conduire à un film contemplatif, s’ajoute une tonalité politique insistante – non sans rapport avec quelques faits d’actualité – qui se propage par le biais d’autres personnages. Jessica fait irruption dans la déchetterie alors qu’elle participe à un jeu de télé-réalité au titre éloquent : « I will survive ». Un tempérament, cette « Jessi », qui s’est engagée dans ce programme comme on s’accroche – là aussi – à ses rêves : les siens sont d’éviter une existence routinière et conformiste. Il y a aussi l’apparition d’un cycliste dépressif (Jacques Bonnaffé), fantasque et suicidaire, remercié de l’entreprise où il travaillait après des décennies de bons et loyaux services.

Rêves de jeunesse n’affiche pas sa nostalgie de manière ostentatoire – ce qui serait pénible. Celle-ci se manifeste comme un chant discret mais continu, d’autant que l’on devine qu’à ces rêves ensevelis s’adjoignent ceux du cinéaste : les pochettes des disques ou les cassettes que retrouve Salomé en sont l’indice, datant d’une autre époque que celle d’un jeune homme des années 2010. Mais le film d’Alain Raoust affirme aussi une autre présence au monde, bien contemporaine celle-là, même si elle se cherche.

Pour Salomé, se voulant fidèle aux convictions de Mathis, il s’agit d’inventer une nouvelle organisation de la société qui serait fondée sur l’amour. Chez Clément (Yoann Zimmer), le frère cadet de Mathis, qui n’est pas insensible au charme de Salomé, le sentiment est plus épidermique, teinté d’une volonté de vengeance qui pourrait déboucher sur de la violence.

Tous deux ont cependant en commun une volonté de retrait par rapport à l’agitation d’un monde qui ne leur convient pas. Leurs mains qui se cherchent, alors qu’ils s’offrent au soleil, dans la quiétude d’un lac où ils se sont baignés, et que leur peau perle encore de quelques gouttes, constituent l’un des plus beaux plans du film. Un plan qui appelle un avenir, avec des rêves d’adultes qui, pourquoi pas, ne seraient pas vitrifiés.

Rêves de jeunesse, Alain Raoust, 1 h 32. En salles le 31 juillet.

Cinéma
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