Sea Watch 3 : « Carola a appliqué le droit à la lettre »
Infirmier à bord du Sea Watch 3, Hugo raconte les conditions qui ont conduit la capitaine du navire à accoster en Italie, « dans l’intérêt de son équipage et des personnes secourues ».
dans l’hebdo N° 1560 Acheter ce numéro
Infirmier volontaire sur le Sea Watch 3, où il a effectué huit missions depuis 2017, Hugo explique le fonctionnement de l’association allemande et de son équipage de 22 personnes, dont deux journalistes. Tout se passe en anglais sur ce bateau, où l’équipage a été préparé aux règles de sécurité, à la situation politique en Méditerranée, au contexte légal, au déroulement d’un sauvetage et au suivi humain et psychologique des rescapés.
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Qui est Carola Rackete, la capitaine du Sea Watch 3 ?
Hugo : Carola Rackete a commencé à faire des missions en 2016 en parallèle de son activité : elle est officière de marine marchande, surtout sur des bateaux scientifiques en Antarctique. Son arrestation est la suite logique de la répression qui s’abat sur les navires de sauvetage. Quand j’ai fait ma première mission sur le Sea Watch 3, elle était second. C’est quelqu’un d’extrêmement sérieux dans son travail. Elle a l’habitude de piloter dans des conditions extrêmes et connaît bien les risques de la mer. La semaine dernière, elle a agi dans l’intérêt de son équipage et des personnes secourues. Elle a respecté toutes les étapes. Elle a laissé aux politiques le temps de réagir. À partir du moment où personne ne lui apportait de solution, elle a décidé d’appliquer le droit à la lettre et de mener son bateau dans le lieu sûr le plus proche.
Droit maritime contre droit national, c’est une situation sans précédent ?
Il y a un mois, le Sea Watch 3 a débarqué une trentaine de personnes en Italie. Le bateau a été saisi. Il y a eu une enquête et les juges ont confirmé que le navire avait agi dans le respect du droit international. Comme l’Aquarius, Sea Watch 3 est dans le strict respect du droit, c’est ce qui assure son maintien en mer. De même que la présence de deux journalistes à bord. Le bateau a connu d’autres blocages, dont un de six mois et un autre avec des rescapés, pendant dix-neuf jours fin décembre. Tous les bateaux de sauvetage sont concernés, y compris ceux de la marine marchande et des gardes-côtes italiens ! Le décret Salvini contredit le droit de la mer et la convention de Genève… Sea Watch collabore sainement avec l’Italie et ses gardes-côtes depuis 2015. Mais c’est devenu très compliqué depuis l’entrée de Matteo Salvini au gouvernement. Depuis la fin des activités de l’Aquarius, tout est mis en œuvre pour qu’il n’y ait pas d’yeux en Méditerranée. Le Sea Watch 3 a subi en un an plus d’inspections que n’importe quel bateau sur toute sa vie. Les premières pressions sont venues de Malte et d’Italie, puis des Pays-Bas, qui durcissent le règlement du pavillon.
Comment étaient les rescapés avant de débarquer à Lampedusa ?
Ils étaient d’abord 53. Du personnel médical italien avait fait une première visite à bord et fait évacuer dix, puis trois personnes. Certains en urgence médicale, et des femmes et des mineurs. Il en restait 40. Outre les soins d’urgence, les syndromes de noyade, les coups de chaleur et des déshydratations, des fractures ouvertes refermées, c’était leur état psychologique qui était préoccupant : on leur a fait comprendre que leur seule chance de demander l’asile en Europe était une urgence médicale. Les équipes redoutaient sans cesse que certains se fassent mal ou tentent de se suicider. En Libye, ils ont vécu l’horreur : travail forcé, viols, torture, rançonnement. Ils préfèrent mourir que d’y retourner.
Comment s’organise le débarquement d’ordinaire ?
Après un sauvetage, on contacte le centre de secours de la zone et c’est à lui de nous trouver un port, « le lieu sûr le plus proche ». Sinon, c’est au centre de secours de notre État de pavillon. Étant donné la situation politique, on a envoyé un message à tous les centres de secours en Méditerranée, y compris en France. Nous avons reçu via le centre de Rome une proposition de débarquer les rescapés à Tripoli. Depuis deux ans, l’Italie et les autres États d’Europe pensent qu’il y a un centre de secours en Libye. Mais celui-ci ne répond jamais. Ce qui équivalait à refouler les rescapés en Libye, un pays que le HCR, l’ONU et le Conseil de l’Europe ne considèrent pas comme un lieu sûr.