Insoumis et écolos : si loin, si proches
Adversaires durant les élections européennes, EELV et LFI ont profité de leurs universités, toutes deux toulousaines, pour échanger. Et imaginer l’avenir.
dans l’hebdo N° 1566 Acheter ce numéro
Une ville. Deux mouvements politiques. Trois mois depuis les élections européennes… et une poignée de semaines de vacances plus tard. Ce long week-end des 22, 23, 24 et 25 août, il soufflait sur Toulouse comme un vent de rentrée des classes. La capitale de la région Occitanie accueillait simultanément les universités d’été d’Europe Écologie-Les Verts et de La France insoumise pour leur rentrée politique. Les écologistes avaient opté pour l’université Jean-Jaurès, située dans le quartier populaire du Mirail ; les insoumis avaient, eux, investi le Centre de congrès Pierre-Baudis. Douze stations de métro – et un changement – séparaient les deux événements. Dans les allées de la faculté, l’ambiance était à la fête. Sous la chaleur de cette fin d’été, les cadres et militants d’EELV s’affichaient tout sourire, encore galvanisés par leurs bons résultats des européennes (13,4 %). À quelques encablures de là, un accueil plus frais – pas tant en raison de la climatisation que des 6,3 % récoltés le 26 mai – attendait les 2 800 visiteurs de la troisième édition des « Amfis ». Les deux formations politiques avaient chiadé leurs programmes, et quelques rencontres, aussi, entre les cadres des deux mouvements politiques étaient prévues. « Le climat à gauche est plus apaisé, la rentrée politique, moins conflictuelle », affirme Emmanuel Maurel, ex-socialiste et élu du Parlement européen sous la bannière insoumise après avoir salué l’eurodéputée écolo Karima Delli, croisée à la terrasse d’un café. Comme si les souvenirs de la violente campagne européenne étaient derrière eux, le député LFI François Ruffin s’affichait souriant aux côtés du secrétaire national des Verts – et désormais eurodéputé – David Cormand. L’élu de Picardie poussant même le rapprochement au point d’envisager, sur BFMTV, la création d’un « Front populaire écologique », regroupant « le rouge et le vert », les gilets jaunes et le mouvement des jeunes pour le climat.
Mais derrière les sourires et les accolades, les prochaines échéances électorales, les municipales de mars 2020, pèsent sur les deux mouvements. Là où EELV espère confirmer l’essai du 26 mai, LFI tente de reprendre de l’élan. « Ce ne seront pas des élections faciles », constate d’emblée la candidate insoumise de Paris Danielle Simonnet. Faute d’un nombre conséquent de cadres sortants (entre 600 et 700, beaucoup moins qu’EELV, et a fortiori que le PS) et d’une dynamique suffisante, le mouvement lancé par Jean-Luc Mélenchon en 2016 peine à définir une stratégie claire. S’ils se refusent à faire l’impasse sur ce rendez-vous électoral, les insoumis confient pourtant ne pas y apporter une importance démesurée. « Il faut réussir à refaire la preuve concrète de notre utilité », indique Éric Coquerel, député de Seine-Saint-Denis, à L’Express. « Il faut avoir l’humilité d’assumer le temps long », euphémise pour sa part la candidate parisienne. Dans un contexte de prime au maire sortant et d’alliances avant même le premier tour, La France insoumise ne ferme pas la porte à l’apposition de son logo sur des initiatives de candidatures citoyennes. « À Lille, cela ne se fera pas, indique Jérémie Crépel, président du groupe EELV de la métropole lilloise, mais dans certaines villes environnantes, c’est envisageable. » Si les Verts dispose de nombreux élus municipaux – en grande partie alliés à des majorités socialistes –, EELV souhaite dépasser les logiques de ralliement au PS et porter, autant que possible, la ligne autonomiste adoptée pour les européennes et incarnée par Yannick Jadot. Car si les insoumis plaident pour l’« humilité », les Verts ont d’autres ambitions : ils prévoient de prendre « Paris, Nantes, Rennes, Montpellier… », liste Yannick Jadot. Mais au Mirail ou dans le centre de Toulouse, d’autres échéances préoccupent les militants. Avant la date fatidique du 15 mars, les deux formations politiques ont fort à faire.
Encore éprouvés par la lourde défaite des européennes, les insoumis continuent de réorganiser leur mouvement, poursuivant les réformes internes réclamées par leurs militants lors de leur dernière assemblée représentative, en juin. Et, comme les « emmerdes » volent toujours en escadrille, ils devront attendre les 19 et 20 septembre et le passage en correctionnelle de Jean-Luc Mélenchon et de cinq autres cadres du mouvement pour clore, peut-être enfin, l’épisode des perquisitions du siège de LFI en octobre 2018. Compte tenu des faits d’accusation – dont « rébellion » –, de lourdes peines pourraient être requises : inéligibilité, prison avec sursis… Est-ce cela qui justifie l’absence de leur tribun à cette troisième édition des Amfis ? Non, assurent les insoumis. « C’est l’occasion de faire, physiquement et en actes, la démonstration que Jean-Luc lui-même souhaite : il n’y a pas besoin de son omniprésence pour que les choses fonctionnent », a défendu Adrien Quatennens, désormais coordinateur du mouvement. Appelé à rencontrer l’ex-président brésilien incarcéré Lula, Jean-Luc Mélenchon a justifié son absence : « J’ai jugé peu raisonnable de m’infliger trois traversées de l’Atlantique en si peu de temps. »
« Il sait surtout qu’il s’en serait pris plein la gueule… », raille un écologiste qui a oublié de balayer devant sa porte. Car si les Verts n’ont pas de démêlés avec la justice, ils ont eux aussi d’autres échéances avant les municipales : le congrès, qui verra un autre secrétaire national prendre les rênes du parti, approche et met en lumière leurs contradictions. « Cette fois, on a gagné la bataille culturelle », se félicitait ce week-end Karima Delli. Mais pas la guerre. S’ils espèrent poursuivre sur leur lancée, les écologistes le savent, il faudra rassembler plus large que la seule famille EELV. Si des rapprochements avec Génération écologie, le Parti animaliste ou le Parti pirate sont sur le point d’être actés, d’autres cadres et militants plaident pour un rapprochement plus vaste, jusqu’aux rives de la gauche radicale. « On affirme qu’on va avoir plein d’élus et on ne se donne pas les moyens de s’élargir », constate Alain Coulombel, secrétaire national adjoint. Et cet élargissement, pourtant promis rapidement au lendemain des européennes, se fait toujours attendre. « J’aurais aimé que cela aille plus vite mais les militants avaient du mal à voir où on allait », s’excuse David Cormand, qui quittera son poste à la fin du mois de novembre. Et, déjà, surgissent les vieux démons de la division et des guerres intestines. Trois, peut-être quatre motions pourraient être présentées aux militants. Toutes favorables à une ligne autonomiste, elles incarnent pourtant chacune les nuances qui composent le parti : de Yannick Jadot, qui estime que rien ne sert de « diviser les Français sur un clivage [gauche-droite] qui n’est pas opérant », aux tenants d’une ligne visant à faire converger « l’imaginaire des écologistes et l’imaginaire de la gauche ». L’éventail est large. À Toulouse, la crainte d’une division du parti occupe les esprits. « Je ne veux pas de têtes coupées, ni la mienne ni celle des autres », tentait de rassurer Yannick Jadot, lors d’une conférence de presse donnée le jeudi 22 août.
Ce congrès, les écologistes ne sont pas les seuls à l’attendre. Dans la même ville, mais pas au même endroit, les pronostics vont bon train. « EELV est face à une équation difficile : marier un électorat plutôt centriste et une base militante marquée à gauche », analyse une insoumise. Pour ceux qui souhaiteraient que des rapprochements s’opèrent entre les deux mouvements, il vaudrait mieux que le congrès des Verts fasse triompher une motion défendant leur appartenance à la gauche. « Mais s’ils adoptent une posture plus centriste, cela nous laissera un boulevard pour capter des voix », poursuit la militante.
« Il faudrait que nous présentions un programme d’intérêt général pour la France », avance Emmanuel Maurel, qui ne serait plus fondé sur des « convergences de résistance », à l’image des combats communs menés par les partis contre la réforme ferroviaire ou, plus récemment, la privatisation d’ADP, mais sur des « convergences de construction », plaide-t-il. Une idée intéressante, d’autant qu’insoumis et écologistes sont complémentaires. Là où EELV parvient à présenter une « vision politique globale » – selon les mots de son secrétaire national –, La France insoumise est plus audible sur les combats nationaux, du fait de la présence de son groupe à l’Assemblée nationale. Et la rentrée s’annonce sur ces thèmes : réforme de l’assurance chômage passée en catimini par le gouvernement cet été, réforme des retraites, loi bioéthique… les sujets ne manqueront pas. « La façon dont le débat est posé n’est pas la façon dont nous réfléchissons », argue David Cormand. Il faudra pourtant bien s’y coller, seuls ou à plusieurs. Mais une pareille union « ne se fera pas à froid », prévient Emmanuel Maurel. Reste alors à attendre qu’une autre étincelle de contestation sociale, à l’image des gilets jaunes, embrase la rentrée. Faudra-t-il en passer par une révolution pour (enfin) arriver à une union ?