La force de l’État en démesure

En prévision du contre-G7, l’État avait déployé un arsenal massif. Malgré l’absence d’incidents, des dizaines de militants ont été arrêtés, et la répression fut outrancière.

Romain Haillard  • 28 août 2019 abonnés
La force de l’État en démesure
Photo : À l'entrée de la "zone rouge", à Biarritz, le 23 août.
© Crédit : LUDOVIC MARIN / AFP

La résistance n’a pas eu l’âpreté d’un samedi des gilets jaunes. Encore moins l’intensité du contre-G20 organisé à Hambourg en juillet 2017. Le consensus d’actions pacifiques, établi par les organisateurs des plateformes, semble avoir été respecté scrupuleusement, même par les forces les plus radicales du milieu militant. Pour autant, un mot vient à l’esprit comme une évidence au regard des forces déployées et de leur emploi, c’est celui de l’hubris, le péché par démesure. 13 200 policiers et gendarmes mobilisés, presque autant que le nombre de contestataires lors de la manifestation du samedi 24 août. À Hendaye, le centre de rétention administrative (CRA), réaménagé pour pouvoir accueillir 300 personnes en garde à vue simultanément, n’a pas non plus rencontré son public.

La démesure se lisait aussi sur les façades d’Hendaye, où les commerces et les banques barricadés derrière des panneaux en bois n’ont pas non plus essuyé la tempête attendue. À part quelques tags, ici et là, les dégradations furent rares. Le Collectif Auto Média étudiant, site d’information indépendant toulousain, relève un peu railleur la « seule victime de l’anticapitalisme », un distributeur de billets dégradé. L’ennui guettait les forces de l’ordre. Attendre, toujours attendre, et toujours rien. Alors, au moindre « débordement », la réponse devient disproportionnée.

Dès mercredi, la police arrête trois étudiants allemands en voiture. Sur eux, un marteau brise-vitre, des cagoules, un spray de lacrymo et de la documentation militante. Surtout, un signalement pour appartenance à la mouvance d’« ultra gauche ». Pas besoin de plus. Les trois jeunes hommes, âgés de 18 à 22 ans, aux casiers vierges ont été condamnés à 2 ou 3 mois de prison ferme pour participation à un groupement en vue de participer à des violences. Sans avoir commis le moindre délit. Les juges non plus n’ont pas souhaité prendre le moindre risque, le mandat de dépôt a suivi, tous ont été directement placés en détention.

La tension a grimpé de manière vertigineuse le vendredi, à la veille de la grande manifestation. Quelques centaines de personnes décident de bloquer une autoroute près d’Urrugne. Cette action pacifique devient crime, et vient le châtiment. Les manifestants se font poursuivre par la police, puis les forces de l’ordre encerclent le campement du contre-sommet. Plus aucune entrée ni sortie n’est possible, l’ambiance devient anxiogène quand tombent du ciel les premières bombes lacrymo, quand les balles de défense fendent l’air. Finalement, les troupes se retirent, le calme revient, mais tout le monde l’a compris, ils étaient venus pour faire passer un message.

Samedi, aucun heurt ni provocation à déplorer de la part des forces de l’ordre, tenues à l’écart du cortège. Seuls les vrombissements de l’hélicoptère et des drones rappellent aux manifestants la présence policière. Mais, une fois le rassemblement terminé, les militants appellent à une manifestation sauvage à Bayonne. Là encore, une débauche de moyens, notamment à l’arrivée des brigades de répression de l’action violente motorisées (BRAV-M) dans les rues vides de la ville. Ces unités à moto aux allures de voltigeurs avaient été déployées dans le cadre des mobilisation contre la loi travail en 2016, puis contre les gilets jaunes à Paris. Moqueurs, les motards saluent les manifestants, situés de l’autre côté de la Nive. À l’issue de cette journée, 68 personnes ont été interpellées, 38 ont terminé en garde à vue, dont trois observateurs de la Ligue des droits de l’homme. Membres d’ONG ou journalistes, les observateurs ont souvent été entravés, par des fouilles répétées, par des mises à l’écart non justifiées, ou par la confiscation de matériels de protection.

Même son de cloche le dimanche. Un groupe de gilets jaunes a été nassé pendant plusieurs heures près de Bidart, sur le parking d’un supermarché, sans avoir pu défiler. Une autre manifestation se déroulait à ce moment-là sous haute surveillance. La brigade anticriminalité a emboîté le pas d’un cortège d’une centaine de personnes qui défilait vers le CRA d’Hendaye. Dans une allocution télévisée, Emmanuel Macron promettait dimanche un changement profond du maintien de l’ordre. Voilà à quoi il pourrait ressembler, des libertés toujours plus corsetées, une opposition bâillonnée – et déjà si diminuée.

Police / Justice
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