Orphelins des pluies
Dans le Karamoja, région du nord-est de l’Ouganda, le réchauffement climatique et la sécheresse mettent directement en danger de mort les populations rurales, qui vivent de leurs troupeaux.
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Lomuria, membre du Peace Committee de Kobebe, observe impassible le lac du même nom, qui ressemble désormais à une mare asséchée d’où émane une odeur nauséabonde. « C’est la pire sécheresse que j’ai connue », lâche-t-il dans un souffle. Nous sommes fin avril et les pluies, qui débutent habituellement en mars, ne sont toujours pas venues arroser le paysage semi-aride de la région du Karamoja.
L’abreuvoir alimenté par la pression de l’eau du lac de Kobebe peine à se remplir. Le débit est lent tant le niveau du lac est bas. Les éleveurs patientent parfois une journée entière, et les esprits s’échauffent quand certains n’arrivent pas à contenir leurs bêtes. Partout, l’inquiétude peut se lire sur les visages des bergers qui affluent avec leurs troupeaux autour des forages et des rares points d’eau encore disponibles.
Cette raréfaction des points d’eau engendre une promiscuité inhabituelle entre les bêtes, également source de problèmes. Les maladies se propagent à grande vitesse : toxoplasmose, fièvre noire, pleuropneumonie, fièvre aphteuse… Cette dernière est d’ailleurs à l’origine de la mise en place d’une quarantaine dans le district de Moroto : le marché aux animaux est donc fermé par décision administrative. Depuis maintenant plus de six mois, il est interdit de vendre ou d’échanger des bêtes, principale ou unique ressource de la majorité des Karamojong. Cette mesure met en grande difficulté les populations du district de Moroto, qui n’ont plus, de fait, aucun revenu.
Tous les aspects de la vie des Karamojong sont affectés par cette sécheresse. La maigre agriculture pratiquée par certains est en péril. Les pâturages viennent à manquer pour les animaux, qui souffrent du manque de nourriture en plus du manque d’eau. La production de lait est si faible qu’elle peine à couvrir les besoins des veaux et des agneaux, dont le taux de mortalité a considérablement augmenté. « Si nos bêtes meurent, nous mourrons. Si la sécheresse continue, nous nous suiciderons », confie un éleveur de Rupa. Autour de lui, plusieurs autres opinent de la tête. Les effets du changement climatique sont ici bien visibles, et cette phrase sonne comme une prophétie. Dans ce village, l’eau disponible est pompée profondément grâce à quelques panneaux solaires installés par plusieurs ONG. Mais tout le monde est conscient que ce système n’est pas durable.
Sans ressources financières et face à la mort de leurs bêtes, beaucoup se tournent vers l’orpaillage ou le travail dans des mines de marbre et de calcaire. Mais ces activités sont aussi très gourmandes en eau. Dans le lit des rivières asséchées, hommes, femmes et enfants creusent la terre pour accéder à quelques litres d’eau, qui serviront à séparer l’or de la roche qu’ils extraient de mines précaires creusées alentour, et qu’ils broient à la main. L’or est revendu à des intermédiaires peu scrupuleux, et ces mineurs peinent à gagner plus de 1 euro par jour.
En plus de cet orpaillage mené en famille ou en groupe, plusieurs compagnies minières se sont installées et tirent profit des terres calcaires ou des ressources en marbre. Sur les terres que ces entreprises ont obtenues en concession pour quelques millions d’euros se pressent des centaines d’hommes et de femmes, sans équipements ni formation. À Tapac, dans la mine de calcaire de l’entreprise Tororo Cement Ltd, des groupes d’une dizaine de personnes extraient et brisent inlassablement des tonnes de pierres. Quand ils en ont assez pour remplir un semi-remorque, après une semaine de travail, ils récupèrent environ 50 euros, qu’ils partagent avec le chauffeur du camion venu récupérer les roches qui seront broyées par l’entreprise.
Dans ces mines, personne n’imagine travailler longtemps. Tous espèrent retrouver un mode de vie pastoral auprès de leurs troupeaux.