Aux États-Unis, les jeunes de Sunrise imposent le débat
Depuis son lancement en 2017, le mouvement est devenu incontournable. Avec sa critique des « adultes » et ses propositions de réformes radicales, il espère peser sur le cours de la présidentielle de 2020.
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Un groupe d’une trentaine de jeunes forme un cercle, vendredi 20 septembre, au pied du bâtiment du département de l’Éducation new-yorkais, dans le sud de Manhattan. Ils font partie du mouvement Sunrise (« Lever de soleil »), un réseau d’adolescents et de jeunes adultes en pointe dans la mobilisation contre le changement climatique aux États-Unis. Dans quelques minutes, ils retrouveront, à quelques pas de là, plus de 200 000 autres jeunes manifestants participant à la grande marche du climat new-yorkaise, aux côtés de la militante suédoise de 16 ans Greta Thunberg. « Il faut rester optimiste. Chaque dixième de degré sauvé équivaut à plusieurs centaines de milliers de vies », affirme Jun Wong, 22 ans, l’un de membres du groupe.
Cet États-unien tout juste diplômé, dont une partie de la famille vit « en dessous du niveau de la mer en Malaisie », a rejoint Sunrise fin 2018, quand des membres de ce mouvement ont occupé les bureaux de la future présidente de la Chambre des représentants, la démocrate Nancy Pelosi, pour réclamer des actions en faveur du climat. Cinquante et un manifestants ont été arrêtés pendant cet épisode, qui a permis à Sunrise de se faire remarquer des médias et de la classe politique. Depuis, le mouvement est devenu incontournable. Composé de jeunes gens de 20 à 30 ans pour l’essentiel, dont quelques salariés, il milite en faveur de réformes politiques radicales pour décarboner l’économie et créer des emplois durables. Leur cible : les « adultes », comprenez les leaders politiques à la solde des lobbys des énergies fossiles, accusés d’avoir fermé les yeux sur la menace, au détriment de leurs enfants et petits-enfants. « Ce n’est pas un groupe comme les autres. Ils comprennent le problème et qu’il faut des solutions radicales pour le résoudre », poursuit Jun.
Sunrise est né en 2017 d’une poignée de jeunes militants issus de divers mouvements environnementaux et de justice sociale. S’inspirant de groupes aussi variés que les Freedom Fighters dans les années 1960 et Occupy Wall Street en 2011 (respectivement contre la ségrégation et les inégalités de richesse), ils étaient décidés à pousser leurs élus à engager les États-Unis sur la voie de la transition verte.
Lors des élections de mi-mandat de novembre 2018, qui ont vu les démocrates reconquérir la Chambre des représentants, ces militants soutiennent des candidats qui partagent leurs idées. À commencer par la députée de New York Alexandria Ocasio-Cortez, étoile montante du parti. Avec l’élue de 29 ans, ils travaillent sur un projet de résolution nommé « Green New Deal » (« nouvelle donne verte »), véritable feuille de route du mouvement. Sans valeur contraignante, ce document de quatorze pages détonne par ses objectifs ambitieux, à contre-courant de la politique de déni climatique du gouvernement Trump.
Dans l’esprit du New Deal du président Roosevelt pour relancer l’économie américaine après la crise de 1929, ce vaste plan sur dix ans vise à moderniser les infrastructures énergétiques, à développer les transports non polluants et à transformer le parc immobilier et le secteur industriel pour enrayer les émissions de gaz à effet de serre, de manière à éliminer la dépendance du pays à l’égard des combustibles fossiles. Il appelle aussi à aider les populations les plus vulnérables face au changement climatique, à augmenter le salaire minimum et à instaurer une couverture santé universelle, notamment.
Preuve, pour Donald Trump et le Parti républicain, que les démocrates sont devenus de dangereux « socialistes », le Green New Deal a eu le mérite de pousser les candidats à l’investiture démocrate à la présidentielle de 2020 à parler du climat et à se positionner par rapport à ce texte ambitieux. « On revient de très loin par rapport à l’élection de 2016, quand le changement climatique a été à peine abordé », observe Justine Ashley-Berfond, une étudiante new-yorkaise de 22 ans, qui n’avait jamais rejoint de mouvement politique avant Sunrise. « Inquiète depuis toujours » du changement climatique, elle a « longtemps pensé que les actions individuelles, comme éteindre les lumières, aideraient ». Elle a découvert Sunrise en 2018 et a été séduite par sa radicalité. Depuis, la jeune femme s’est notamment mobilisée, en août, pour faire pression sur les instances dirigeantes du Parti démocrate afin d’organiser un débat télévisé intégralement consacré au climat. Le projet a été écarté par le parti au profit de séances de questions-réponses, retransmise sur CNN, entre électeurs et principaux candidats, ceux-ci se succédant sur scène sans pouvoir se confronter directement.
« Grâce au militantisme de Sunrise, le climat est devenu un sujet essentiel chez les démocrates. Aucun candidat ne peut demander les votes de la jeunesse s’il n’a pas de programme environnemental sérieux », constate Kevin Yuanzhi-Chen, 25 ans. Cet immigré chinois a rejoint le mouvement en 2018 par crainte des migrations climatiques. « Les catastrophes naturelles vont forcer des populations à bouger, à perdre leur langue et leur culture », assure-t-il.
D’ici à l’élection présidentielle de novembre 2020, Kevin restera mobilisé, tout comme les autres membres des 400 réseaux locaux de Sunrise répartis dans tout le pays. Diplômée en décembre 2019, Justine Ashley-Berfond envisage pour sa part de s’impliquer dans la campagne d’un candidat démocrate. Pour le moment, Sunrise n’a pas officiellement apporté son soutien à l’un des prétendants à l’investiture. « Nous avons besoin d’un changement de système. Se doter de panneaux solaires ne suffit pas. J’ai le sentiment d’avoir entendu parler de petits changements toute ma vie. Nous n’avons plus ce luxe. »