« Bacurau », de Kleber Mendonça Filho et Juliano Dornelles : les bons, les brutes et les truands

Bacurau, des Brésiliens Kleber Mendonça Filho et Juliano Dornelles, est un ovni qui glisse dans un western moderne une violente parabole sur le colonialisme, le suprémacisme et la démence.

Ingrid Merckx  • 24 septembre 2019 abonnés
« Bacurau », de Kleber Mendonça Filho et Juliano Dornelles : les bons, les brutes et les truands
© crédit photo : victor jucà

La soucoupe volante traverse l’écran. Elle survole le petit papi qui descend la route poussiéreuse sur sa mobylette et lève les yeux vers elle sans s’arrêter. Comme si c’était un jouet. Ou un mauvais tour. Les réalisateurs versent-ils dans la science-fiction ? Miment-ils une hallucination ? L’effet de discordance est immédiat entre cet objet et les collines torrides du Nordeste du Brésil, l’allure années 1980 de l’ovni et celle années 1950 du paysan, et les deux cinémas de genre auxquels ils renvoient : série B rétrofuturiste d’un côté, fiction réaliste de l’autre.

L’incursion dans le bizarre, Kleber Mendonça Filho (Aquarius) et Juliano Dornelles se la sont déjà autorisée quand Teresa (la belle Barbara Colen) s’est fait déposer par un autre papi du village une graine psychotrope sur la langue pour encaisser la mort de sa grand-mère, qu’elle est revenue enterrer. Dès lors, ils ont ouvert toutes les hypothèses : les habitants de ce village pauvre et isolé sont-ils en proie à un fantasme collectif ou victimes d’une attaque d’origine inconnue ?

Les signes se succèdent. Les routes principales sont coupées. Le barrage est fermé. L’eau est livrée par camion. Un des jeunes hommes, Pacote (Thomas Aquino), traîne une sombre affaire de fusillade. Surtout : il y a des ruptures de réseau et le village a mystérieusement disparu des cartes satellites. Le dénuement de ces gens se lit sur leurs tenues et l’intérieur de maisons aux murs délabrés, aux éviers miteux, et envahies par les mouches. Ils manquent de livres et de médicaments de première nécessité mais n’en possèdent pas moins un média local, quelques voitures, des téléphones portables, une tablette et un écran géant dans la petite école, et un grand écran collectif tendu sur le dos d’un camion qui affiche tantôt le visage de la défunte tantôt une vidéo tragico-burlesque de Pacote assassin qui circule sur des réseaux sociaux.

Ils pourraient être aussi frustes que leur quotidien le laisserait supposer, mais les membres de cette petite communauté intelligente et éduquée, qui laisse son église en ruines mais vénère son musée, observent des règles de vie démocratiques, tolérantes et efficaces, mues non par un pouvoir mais par un destin commun. Comme si, au lieu d’être condamnés à vivre là, ils avaient choisi de vivre ensemble : les petits et les vieux, les jeunes désœuvrés et les prostituées, la vieille toubib alcoolique (Sônia Braga) et les bandits locaux. Ils ont un ennemi évident : un sombre élu en campagne qui tente de les acheter en les arrosant de produits périmés. Mais aussi un ennemi inconnu qu’ils vont devoir démasquer au cours d’une histoire assumant sa tendance western moderne.

Le ressort majeur de ce film qui vire à la parabole violente sur la corruption, le colonialisme impérialiste et les tueries de masse, c’est l’empathie évidente des deux ­réalisateurs avec ces villageois. Des Misérables autochtones, dignes, aimants et courageux face à une menace suprémaciste aussi high-tech que dégénérée par sa déconnexion d’avec le réel, le vivant et l’humain.

Bacurau, Kleber Mendonça Filho et Juliano Dornelles, 2 h 10

Cinéma
Temps de lecture : 3 minutes