« Ceux qui travaillent », d’Antoine Russbach : à vau-l’eau
Dans Ceux qui travaillent, Antoine Russbach montre comment le capitalisme façonne les consciences.
dans l’hebdo N° 1570 Acheter ce numéro
Frank (Olivier Gourmet) travaille depuis quinze ans dans le fret maritime. C’est un self-made-man qui occupe un poste à responsabilités dans une société soumise à une redoutable concurrence. Un jour survient ce qu’il va nommer un « accident de parcours » : un jeune migrant, sans doute atteint du virus Ebola, est monté à bord d’un des navires qu’il supervise. Toutes les solutions qui s’offrent à lui sont coûteuses parce qu’elles retardent la livraison de centaines de containers. Après avoir tergiversé, il ordonne au capitaine du bateau de passer le migrant par-dessus bord.
Pour son premier long-métrage, le réalisateur suisse Antoine Russbach tape en plein cœur du capitalisme et de sa capacité à façonner les consciences. Frank travaille dans l’abstraction pure : il n’a jamais approché les bateaux qu’il gère de très loin. Ils ne sont pour lui que trajectoires minutées et lignes comptables. Le cynisme est de rigueur, y compris dans les motivations des patrons de Frank, qui, ayant appris son forfait, exigent sa démission.
Olivier Gourmet est parfait dans la peau de ce Frank qui ne sourit jamais, personnage aliéné par son travail, la conscience refoulée par un niveau de vie confortable. Mais le chômage – une honte insupportable – crée une faille en lui. Et le dévie de son point de vue routinier : il n’est pas loin d’admettre, par exemple, qu’il a fait de ses cinq garçons et filles des enfants (trop) gâtés. Mais le chemin parcouru pendant cette crise personnelle ne sera peut-être pas suffisant…
Ceux qui travaillent, qui rappelle certains films de Jean-Marc Moutout, est mieux qu’un film de dénonciation du capitalisme : il met l’accent sur la responsabilité de chacun à se conformer à ses mots d’ordre insidieux, aux comportements qu’il induit. Il appelle à un exercice de lucidité.