Converger malgré le chaos policier

Loin d’être une fête gâchée, la Marche pour le climat du 21 septembre, à Paris, a donné lieu à un rapprochement concret et sincère entre mouvement vert et gilets jaunes. Sans s’exempter de débat.

Romain Haillard  • 25 septembre 2019 abonnés
Converger malgré le chaos policier
© crédit photo : Laure Boyer/Hans Lucas/AFP

Gâchis ou réussite ? Divisions ou jonction ? Tout dans la séquence répressive observée dans les rues de la capitale ce samedi 21 septembre à l’occasion de la marche climat aurait pu justifier un bilan pessimiste : un rassemblement entre militants écologistes et gilets jaunes rendu impossible par la préfecture, et un dispositif policier pour y veiller ; la présence du black bloc en tête de cortège de la manifestation – saluée, tolérée ou critiquée –, et la réplique aveugle des forces de l’ordre pour le disperser. Si les dissonances persistent sur la pluralité des modes d’action, l’assurance d’avoir installé le futur rapport de force s’affirme, au singulier lui. « Fin du monde, fin du mois, même combat », ne résonne plus comme un simple slogan.

La journée commençait pourtant mal. Le 21 septembre, un peu après 9 heures, les rues du quartier de La Madeleine offrent un spectacle particulier. De petits groupes épars semblent échoués le long des trottoirs. Tous se cherchent du regard et tentent de se reconnaître. Quelques minutes plus tôt, ils étaient près de 300 personnes à avoir répondu à l’appel « pour la justice sociale et climatique » d’Attac et de l’Union syndicale Solidaires. La veille, la préfecture de police a interdit le rassemblement. Malgré une demande d’annulation devant la justice administrative en référé liberté, le juge a maintenu l’interdiction. Chemise impeccable et petite mallette à la main, deux hommes observent avec méfiance le cadrillage policier. « Nous n’avons pas sorti le gilet aujourd’hui et nous sommes arrivés en taxi pour éviter les contrôles », explique l’un d’eux, venu avec son acolyte de la périphérie parisienne. À chaque carrefour, les forces de l’ordre vérifient les cartes d’identité et fouillent attentivement les sacs. Certains policiers demandent même à retirer les chaussures pour en vérifier le contenu.

Difficile d’y échapper, des unités mobiles se projettent de part et d’autre de la rue pour bloquer quiconque paraît suspect. « C’est efficace », peste un gilet jaune, corrigé immédiatement par un autre : « C’est surtout attentatoire à nos libertés. » Quand un groupe de manifestants en croise un autre, les mêmes phrases reviennent : « Vous y étiez ? » ; « Un petit cortège s’est dirigé vers Saint-Lazare mais a été gazé et dispersé immédiatement » ; ou encore « On fait quoi maintenant ? » Une jeune militante d’Extinction Rebellion au regard déterminé tranche : « Il faut rejoindre les Champs-Élysées. » Même situation sur la grande avenue. Certains commencent à se démoraliser, avant d’entendre une clameur. Quelques centaines de gilets jaunes ont réussi à imposer leur présence malgré l’interdiction. Rapidement, les gendarmes mobiles les séparent, les unités très mobiles de la BRAVM (brigade de répression de l’action violente motorisée) les repoussent dans les rues adjacentes à grand renfort de grenades lacrymogènes.

Lassés de ce jeu du chat et de la souris, nombre d’entre eux rejoignent la marche climat, seul repli autorisé pour converger. À 13 heures, à quelques pas du Sénat, la place Edmond-Rostand se remplit. D’un côté, les gilets jaunes s’échauffent et donnent de la voix, ragaillardis par l’afflux croissant de personnes et l’absence de policiers. De l’autre, le mouvement vert s’organise et donne une note carnavalesque au rassemblement. Ici une abeille géante, là une effigie d’un Macron monarque couronné par le slogan « Roi du blabla ». Le folklore des « jaunes » se heurte parfois aux traditions des « verts », quand les organisateurs entament des tours de parole. Le chant « on est là », ou encore les cris guerriers tendent à recouvrir les discours, sans toutefois les perturber. « Bon, on y va ? », tente un jeune homme, visiblement impatient. Le mot passe entre gilets : il faut prendre la tête du cortège, malgré les appels au micro à la réserver aux mouvements citoyens.

Avant même la fin des discours, des colonnes se frayent un chemin à travers la foule et passent devant les banderoles et le service d’ordre. Puis, d’autres manifestants affluent et changent de vêtements rapidement, les visages se dissimulent. Les « On est là » côtoient alors les « Siamo tutti antifascisti » (« nous sommes tous antifascistes » en italien). La tête de cortège a réuni près d’un millier de personnes, partagé entre le black bloc et les gilets jaunes. « J’entends les discours catastrophistes depuis des années… », soupire un gilet de Montreuil, satisfait de voir ce rassemblement, avant de poursuivre : « Ces déclarations ne font plus débat, il faut se mettre à la page, et passer enfin à l’action. » Les tags fleurissent, un manifestant escalade un échafaudage et récupère des pots de peinture, un groupe attaque une première banque. La police ne tarde pas à répondre aux premières dégradations de biens. Une charge perce l’avant du cortège, puis la lacrymo empoisonne l’air. Les manifestants se compressent le long des immeubles et ne tardent pas à être visés par une succession de grenades de désencerclement. Les blessés tentent de se réfugier dans les halls d’immeuble ou les commerces.

Vers 15 h 30, Greenpeace, l’un des organisateurs de la marche, invite dans un tweet à quitter la marche pour le climat : « Les conditions d’une marche non-violente ne sont pas réunies. Nous dénonçons l’envoi de lacrymogènes sur des manifestants non-violents et des familles. » Par la suite, Jean-François Julliard, directeur de l’ONG, a condamné fermement la violence du black bloc comme la disproportion de l’intervention policière. Même son de cloche du côté d’Alternatiba. « Tout le monde a été attaqué sans distinction », rapporte Élodie Nace, écœurée. « Libre à eux [le black bloc] d’agir de leur côté, mais nous ne pouvons pas cautionner qu’une minorité nous impose un mode d’action et empêche de nous exprimer », tempête-t-elle.

Yacine, un gilet jaune de Nantes, se réjouit de la persévérance des manifestants, car beaucoup ont tenu, malgré les appels à quitter le cortège : « La police ne doit pas décider quand il faut arrêter une manifestation à notre place. » La question du soutien d’une lutte plus âpre dans la rue se pose, notamment à Extinction Rebellion. « Nous avons deux tendances, l’une s’inquiète de l’emploi de la violence, contraire à nos principes. Mais une autre se pose tout de même la question de se tenir aux côtés de ceux qui, comme nous, réclament un changement radical de société », explique calmement Franck, l’un des membres du mouvement de désobéissance civile. Il tient à souligner : « Mais il ne faut pas exagérer ce clivage. Nous tenons fermement à notre ligne non-violente, tout en refusant toute dissociation avec les autres manifestants. »

La couverture médiatique réservée à cette journée n’a rien arrangé, selon Maxime Combes : « Cette répression a eu pour conséquence de masquer ce qu’il s’est réellement passé. De faire surgir aux yeux du monde la jonction entre gilets jaunes et les militants contre le changement climatique. » Le militant altermondialiste d’Attac ne perd cependant pas espoir et voit dans cette mobilisation un pas de franchi, définitivement : « Nous aurons des désaccords, il y aura débat, mais nous instaurons un rapport de force ensemble. Il n’y a plus d’un côté les gentils écologistes pour le changement des pratiques individuelles et de l’autre les gilets jaunes. » Un pas emboîté par Yacine, le gilet jaune nantais : « Nous avons gagné ce weekend. Pas le rapport de force avec la police évidemment, en l’état actuel ce n’est pas envisageable. Mais, à côté de notre union, l’épisode de violence n’est rien », conclut Yacine dans un sourire.

Écologie
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