« Jeanne », de Bruno Dumont : Une fille rebelle
Deuxième volet de la vie de la Pucelle d’Orléans selon Bruno Dumont, via Charles Péguy, _Jeanne_ est un film de combat poétique.
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Comme lors de la sortie, il y a deux ans, de Jeannette, l’enfance de Jeanne d’Arc, le premier volet du diptyque de Bruno Dumont, nous avons plaisir à citer le nom du philosophe Daniel Bensaïd. Cela pourrait surprendre. Pourtant, le théoricien trotskiste a bel et bien consacré un livre à la Pucelle. Bensaïd s’était passionné pour Jeanne d’Arc et sa « foi révolutionnaire », expression reprise de Charles Péguy, dont le cinéaste s’est aussi inspiré.
Dans ce second film, où l’on retrouve Jeanne lors de ses deux dernières années de vie, ce n’est pas au surgissement de sa vocation que l’on assiste – via une foi ne respectant pas les codes de l’Église – mais à sa rébellion contre la faiblesse des puissants, ce qui lui coûtera la vie. Jeanne ne se résigne pas face à l’occupant anglais, contrairement à celui qui jusque-là fut son maître : Charles VII. Constatant l’inaction de ce dernier, elle se met en dehors de la légalité monarchique, et continue la bataille. Mais la victoire n’est plus au rendez-vous.
Magie du cinéma : alors que la Jeanne représentée ici a entre 17 et 19 ans, Bruno Dumont a décidé de continuer avec la jeune comédienne qui interprétait Jeannette, Lise Leplat Prudhomme, 10 ans au moment de ce second tournage. Il a senti, à juste titre, que la vraisemblance physique comptait peu face à l’intensité qui se dégage de la fillette. À la fois intransigeante et fragile, droite et gracile, la Jeanne que Lise Leplat Prudhomme offre à l’écran est en symbiose parfaite avec celle dont le cinéaste conte la trajectoire.
Il le fait en stylisant toujours davantage, selon une suite de tableaux qui se déroulent pour la plupart dans le même décor que ceux de Jeannette, un paysage de dunes (du Nord) où les personnages se retrouvent comme sur une scène de théâtre. Puis au cœur d’une cathédrale pour la partie consacrée au procès.
Jeannette comptait des touches d’humour. Ce n’est plus le cas ici. Il y a dans le regard de Jeanne quelque chose de grave et d’inflexible qui imprègne tout le film. Mais son destin tragique ne signifie pas pour autant mélodrame. Grâce à la musique de Christophe, qui a composé pour l’occasion une partition et des chansons originales, Jeanne garde jusqu’au bout une forme aérienne. Les mots, les notes et la voix du chanteur se lient avec bonheur à l’élan de Jeanne, à sa détermination juvénile, à l’appel intime dont elle a été la destinataire et auquel elle reste fidèle, quoi qu’il lui en coûte. Dumont fait ainsi confiance, avec raison, à la puissance d’incarnation et d’évocation que le visage de Jeanne, plein cadre, peut susciter le temps d’une superbe chanson de Christophe.
Le film ne maintient pas toujours cette belle dimension poétique. Il connaît ce qu’on appelle un ventre mou au début du procès, avec la (trop) longue présentation des différents protagonistes. Mais quand le froid discours raisonnant des théologiens, aussi ridicules que meurtriers, s’enclenche contre la frêle Jeanne, l’intégrité de celle-ci éclate, rayonne. Et Jeanne retrouve alors son lyrisme singulier et de pure beauté.
Jeanne, Bruno Dumont, 2 h 18.