Le Brexit, toute une histoire

Deux spécialistes de la civilisation britannique remettent en perspective la crise actuelle, qui prend racine sous l’ère Thatcher.

Denis Sieffert  • 11 septembre 2019 abonné·es
Le Brexit, toute une histoire
© Margaret Thatcher (ici en effigie sur des porte-clésu2026) a dévasté la société britannique par une politique ultralibérale.OLI SCARFF/AFP

À suivre le feuilleton vaudevillesque qui agite Westminster, et à voir la gesticulation clownesque de Boris Johnson, on en viendrait presque à oublier que la crise actuelle vient de beaucoup plus loin. Le mérite de l’ouvrage publié ces jours-ci par deux universitaires spécialistes du Royaume-Uni, Emmanuelle Avril et Pauline Schnapper, est de nous ramener aux causes profondes du Brexit. Si les « Brexiters », Boris Johnson et le leader ultra-droitier Nigel Farage en tête, sont bien les opportunistes et les démagogues que l’on sait, ils ne font que prospérer sur une situation dont les responsables historiques sont Margaret Thatcher et son successeur travailliste, Tony Blair, ainsi que leurs héritiers. La première parce qu’elle a dévasté la société britannique par une politique ultralibérale qui a ruiné les services publics, creusé les inégalités et envoyé dans la grande misère des régions entières des Midlands et du pays de Galles ; le second parce qu’il a tué l’espoir en continuant la politique de Thatcher, alors que le positionnement historique de son parti pouvait laisser espérer un redressement social. C’est le crime historique du New Labour.

Entre 1985 et 1995, sous les gouvernements Thatcher et Major, le successeur immédiat de la Dame de fer, «les 10 % les plus pauvres de la population britannique virent leur revenu baisser, tandis que le revenu net des 10 % les plus riches augmenta », notent les essayistes. Si cette tendance, loin d’être propre à la Grande-Bretagne, a pris ici la dimension d’une catastrophe sociale, c’est en raison, nous disent Avril et Schnapper, de la place de la finance dans l’économie britannique. Ce qui allait exposer la Grande-Bretagne, plus que tout autre pays européen, à la crise de 2008. La politique férocement antisociale allait se poursuivre impitoyablement ensuite, notamment par la répression des chômeurs. Le Royaume-Uni a inventé en Europe la catégorie des travailleurs pauvres et l’auto-entreprise.

L’une des conséquences les plus notables de cet affaissement généralisé de l’emploi et du niveau de vie a été une vague anti-immigrés. La question de l’immigration, qui apparaissait comme problématique pour 3 % des Britanniques en 1997, inquiétait 48 % des sondés en juin 2016, à la veille du référendum. Au point de faire voler en éclats le fameux modèle multiculturel. Certes, les fake news d’une presse dite « populaire » qui a fait de la démagogie son fonds de commerce et une campagne massivement financée par un certain Arron Banks, réputé proche de Poutine, ont fait le reste au moment du scrutin du 23 juin 2016. Des éléments sans doute ponctuellement décisifs, mais qui ne doivent pas faire oublier que la réaction d’une partie de l’électorat est historiquement la conséquence de trente ans d’ultralibéralisme, dont le Royaume-Uni a été le triste laboratoire.

Où va le Royaume-Uni ? Le Brexit et après Pauline Schnapper et Emmanuelle Avril, éd. Odile Jacob, 272 pages, 22,90 euros.

Idées
Temps de lecture : 3 minutes

Pour aller plus loin…

Palestine : quatre auteurs pour l’histoire
Essais 26 mars 2025 abonné·es

Palestine : quatre auteurs pour l’histoire

On ne compte déjà plus les livres parus sur Gaza depuis le 7 octobre 2023. Nous en recensons ici quelques-uns qui portent des regards très différents sur la tragédie.
Par Denis Sieffert
George Monbiot : « Après l’hégémonie culturelle néolibérale, nous risquons celle du fascisme »
Entretien 26 mars 2025 abonné·es

George Monbiot : « Après l’hégémonie culturelle néolibérale, nous risquons celle du fascisme »

Journaliste, activiste écolo et enseignant à l’université d’Oxford, George Monbiot publie, avec le réalisateur de documentaires Peter Hutchison, un réquisitoire implacable sur l’hégémonie culturelle et l’organisation du capitalisme néolibéral.
Par Olivier Doubre
La sociologie est un sport collectif
Idées 19 mars 2025 abonné·es

La sociologie est un sport collectif

Composé par d’anciens collègues et chercheurs d’autres disciplines en sciences sociales formés par lui, un passionnant volume rend hommage à Jean-Claude Chamboredon, d’abord proche de Bourdieu avant de créer ses propres labos, telles des « coopératives artisanales ».
Par Olivier Doubre
Yolanda Díaz : « On ne progresse pas par la peur mais par l’espoir »
Entretien 19 mars 2025 abonné·es

Yolanda Díaz : « On ne progresse pas par la peur mais par l’espoir »

La deuxième vice-présidente du gouvernement espagnol, ministre du Travail et de l’Économie sociale, a su imposer ses thèmes dans le gouvernement dirigé par le socialiste Pedro Sánchez. Ses réformes ont fait d’elle l’une des personnalités politiques les plus populaires de la péninsule ibérique.
Par Pablo Castaño