Les retraites mettent Macron à cran

Devant l’opposition grandissante à la réforme des retraites, Emmanuel Macron joue la prudence, mais aussi la diversion, durcissant le ton sur l’immigration. Un jeu dangereux.

Michel Soudais  • 18 septembre 2019 abonné·es
Les retraites mettent Macron à cran
© photo : Manifestation contre la réforme des retraites, le 16 septembre à Paris.crédit : Jerome Leblois/Hans Lucas/AFP

Prudence. En cette rentrée, tel est le maître-mot d’Emmanuel Macron s’agissant du projet le plus explosif de son quinquennat : la réforme des retraites. Le chef de l’État l’a martelé lundi, devant quelque 200 députés et sénateurs de sa majorité et l’ensemble du gouvernement. Il faudra, les a-t-il prévenus, « faire des choix. Nous aurons des discussions sur les professions pour qui il y a des régimes spéciaux », mais « peut-être faudra-t-il plus de temps. Il ne faut rien fermer trop tôt ».

Les résistances à son projet de régime universel par points, qui commencent à se manifester, expliquent cette soudaine prudence. Le gouvernement a pu mesurer vendredi dernier la détermination des agents de la RATP à préserver leur régime spécial ; jauger, lundi, la forte mobilisation des avocats, professionnels du soin (médecins, infirmiers, etc.) et du transport aérien (pilotes, hôtesses, stewards), également soucieux de conserver l’autonomie de leurs régimes de retraite. Et d’autres mouvements à l’initiative de Force ouvrière puis de la CGT et Solidaires sont annoncés ces jours prochains.

Deux mois après la remise du rapport Delevoye, l’opinion est loin d’être convaincue du bien-fondé de la réforme promise par Emmanuel Macron. Selon un sondage Odoxa pour France Info et Le Figaro, 72 % des Français ne font pas confiance au Premier ministre pour « proposer une bonne réforme des retraites ». Le 26 août, le chef de l’État avait déjà surpris en annonçant être favorable à « un accord sur la durée de cotisation plutôt que sur l’âge » de la retraite, contrairement à ce qu’il préconisait fin avril quand, le premier, il avait évoqué un « âge d’équilibre », retenu ensuite dans le rapport de Jean-Paul Delevoye, qui porterait de 62 à 64 ans de l’âge de départ en pension à taux plein.

Cette volte-face lançait une opération de déminage, dont le Premier ministre a donné la mesure devant le Conseil économique, social et environnemental, le 12 septembre. « La réforme n’est pas écrite », a martelé Édouard Philippe, en annonçant, après déjà dix-huit mois de consultations conclus par le rapport susnommé, l’ouverture de nouvelles discussions tous azimuts jusqu’à la fin de l’année, pour un vote de la loi en juillet 2020.

L’intention n’est pas seulement de temporiser pour enjamber les municipales des 15 et 22 mars. Le Premier ministre s’est méthodiquement employé à rassurer plusieurs segments de la population, histoire de conjurer une possible unité syndicale interprofessionnelle. Il a ainsi rappelé avec insistance que « la mise en place du système universel ne concerne ni les retraités actuels, ni les actifs qui sont proches de la retraite » (nés avant 1963), assuré que « les droits acquis dans le cadre des régimes actuels seront conservés à 100 % » et que le futur système prendrait en compte « évidemment […] les métiers dangereux ou pénibles sur le plan physique », laissé entendre que la suppression des régimes spéciaux et dérogatoires pourrait souffrir des « exceptions » – les militaires et policiers ont été seuls cités. « Si, pour certaines professions, la période de transition doit être plus longue, nous l’allongerons », a-t-il aussi indiqué en suggérant que le nouveau système pourrait « ne s’appliquer, pour certains régimes, qu’à des personnes plus jeunes, plus éloignées de la retraite ».

Prudent sur les retraites, Emmanuel Macron l’est beaucoup moins sur l’immigration, qu’il vient bruyamment de remettre à l’ordre du jour pour concurrencer sur son terrain le Rassemblement national désigné comme son « seul opposant ». Un jeu dangereux, destiné à empêcher que le débat politique se focalise la question sociale. Le symptôme aussi d’un pouvoir contraint de multiplier les rideaux de fumée pour espérer imposer sa réforme des retraites.


Le calendrier politique

19 septembre : Grève chez EDF à l’appel d’une intersyndicale.

20 septembre : Marche pour le climat.

21 septembre : « Grande journée de rentrée » des gilets jaunes + marche pour le climat + mobilisation de FO contre la réforme des retraites.

24 septembre : Mobilisation de la CGT et de Solidaires contre la réforme des retraites.

26 septembre : Journée d’action du collectif Inter-Urgences.

27 septembre : Marche pour le climat et présentation en Conseil des ministres du projet de loi de finances.

15 octobre : Mobilisation des pompiers professionnels.

Début décembre : Fin de la concertation et de la « grande consultation » sur la réforme des retraites.

15 et 22 mars : Élections municipales.

Été 2020 : Vote de la réforme des retraites.

Économie Travail
Temps de lecture : 4 minutes

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