« Liberté », d’Albert Serra : Sombres Lumières

Liberté, d’Albert Serra, met en scène des libertins dans une atmosphère funèbre.

Christophe Kantcheff  • 3 septembre 2019 abonné·es
« Liberté », d’Albert Serra : Sombres Lumières
© crédit photo : Filmgalerie 451

Mai 1774. Louis XVI accède au pouvoir. Quelque chose change au moins pour certains : les libertins, dont les mœurs étaient appréciées par le roi précédent. Ils sont dorénavant chassés de la cour. On en retrouve quelques spécimens au début du nouveau film d’Albert Serra, Liberté, sur le chemin de l’exil. Ils partent vers l’Allemagne, en quête de l’appui d’un duc germanique (Helmut Berger) tout aussi dépravé qu’eux.

Albert Serra marque une inclination certaine pour l’époque moderne, ces trois siècles qui vont du XVIe au XVIIIe. Après Histoire de ma mort (2013), où Casanova tenait un grand rôle, et La Mort de Louis XIV (2016), avec un magistral Jean-Pierre Léaud subclaquant, nous voici de plain-pied dans ­l’Europe des Lumières. Cependant, les libertins d’Albert Serra sont à leur tour plongés dans une atmosphère funèbre. Ils se déplacent comme des ombres, le teint blafard, dans un clair-obscur fantomatique.

Il faut dire que le cinéaste les saisit l’espace d’une nuit, dans une forêt, ayant « emprunté » les novices d’un couvent voisin. Ce qui apparaît, sous forme de tableaux successifs, c’est une mise en scène de désirs qui passent avant tout par la parole pour ensuite se concrétiser en actes. Le plaisir du verbe précède la jouissance des corps, celle-ci étant surtout faite de souffrances, d’humiliations, voire d’une proximité avec la mort. Durant cette nuit d’érotisme noir, les hiérarchies sociales n’ont pas lieu d’être jusqu’à ce qu’elles ressurgissent irrationnellement.

Liberté propose une vision sombre, à la limite du fantastique, d’une époque qui connaît les derniers feux de la monarchie, et dont Sade a montré toute l’horreur. Liberté résonne avec le matérialisme sadien, et c’est là son atout majeur : bien que splendide esthétiquement, le film ne triche pas.

Liberté, Albert Serra, 2 h 12.

Cinéma
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