Mineurs isolés : en finir avec la maltraitance ?
Le 10 septembre, Médecins sans frontières a présenté un rapport sur sa mission auprès des mineurs non accompagnés qui se révèle accablant pour les pouvoirs publics et la politique d’accueil de la France.
Maltraitance. Le mot est fort quand il vise des services publics, des institutions, des professionnels censés soustraire les enfants aux maltraitances qu’ils subissent. Mais c’est ce terme que Médecins sans frontières a choisi en titre de son rapport de mission auprès des mineurs non accompagnés (MNA) présenté le 10 septembre à Paris : « Symbole d’une politique maltraitante ».
C’est dire qu’en sus de toutes les violences qui ont poussé ces jeunes à quitter leurs pays, et de toutes celles que 87 % ont subies pendant le trajet, en Libye notamment, s’ajoutent les violences du mal-accueil français. « Tout est fait en France pour ne pas les reconnaître comme mineurs », a lâché Corinne Torre, cheffe de mission France MSF en précisant que ce rapport était un « état des lieux des manquements de l’État. » Un État qui se base sur une « présomption de mensonge » sur la minorité des jeunes étrangers.
Car qui dit mineur dit automatiquement prise en charge par l’Aide sociale à l’enfance (ASE). Et qui dit majeur, dit immédiatement expulsable, sans présentation devant un juge des enfants. Alors la France, pour ne pas prendre en charge ces enfants venus d’ailleurs, fait traîner les procédures dans l’espoir qu’au bout de un ou deux ans, une partie de ceux qui s’étaient déclarés mineurs et sont parvenus à se maintenir sur le territoire, aient finalement passé le cap fatidique des 18 ans, ou aient d’eux-mêmes repris la route vers d’autres contrées.
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« Certains ont été obligés de se déclarer majeurs pour pouvoir passer certaines frontières avant d’arriver en France, explique Priscillia de Corson, chargée de plaidoyer à MSF. Les tests osseux utilisés en France pour déterminer l’âge physiologique de ces jeunes comportent des marges d’erreurs de deux ans, avec encore plus de risques d’erreurs à l’adolescence. Et les évaluations pour déterminer la minorité sont fondées sur des entretiens qui ne sont pas harmonisés sur le territoire et se révèlent arbitraires et entachés de malfaçons… »_ Sans compter que tous n’ont pas lieu en présence d’un interprète.
Un constat confirmé par une doctorante qui a réalisé sa thèse sur ces évaluations à partir d’une enquête menée « incognito » dans les couloirs opaques de la plate forme d’accueil des mineurs étrangers à Paris, gérée par France terre d’asile. Ces entretiens peuvent durer un quart d’heure ou deux heures, ne sont pas pluridisciplinaires, contrairement au modèle britannique dont ils s’inspirent, et supposent que les jeunes sont en état de restituer leur trajectoire au moment où on le leur demande. « Les critères utilisés font sortir les évaluations de la protection de l’enfant », a observé cette doctorante qui estime qu’ils répertorient plutôt la souffrance ou la capacité à s’intégrer. Elle a également souligné que les professionnels qui faisaient passer ces entretiens étaient plutôt des personnes « pro-accueil » qui se retrouvent contraintes d’appliquer des dispositifs répressifs et excluants. Ce qui engendre de la souffrance pour eux également.
À la rue et sans ressources
Les jeunes étrangers isolés sont de plus en plus nombreux en France. En 2016, le ministère de la Justice estimait à 8 054 les jeunes considérés comme mineurs et donc pris en charge par l’ASE dans les départements. Ils étaient, toujours selon le ministère, 14 908 en 2017 et 17 022 en 2018. « Il est très difficile d’obtenir des statistiques fiables concernant le nombre de jeunes qui ont fait l’objet d’un refus de prise en charge par les départements, mais ils sont probablement des milliers », glisse MSF dans son rapport. Ni majeur ni mineur, ces « mijeurs » se retrouvent à la rue, seuls, sans ressources, sans connaissance des possibilités de recours en justice et en proie à toutes les violences… C’est pour leur venir en aide que MSF, avec un nombre important de partenaires, a ouvert un centre d’accueil de jour pluridisciplinaire en décembre 2017.
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Entre le 5 décembre 2017 et le 31 décembre 2018, ce centre a reçu et accompagné 787 jeunes étrangers. Ce sont les informations recueillies auprès d’eux qui ont nourri le rapport de mission. Ils ont tous fait l’objet d’une procédure d’évaluation en Ile-de-France, 90 % ont saisi le juge des enfants dans cette région.
Depuis l’ouverture du centre de Pantin en décembre 2017, nos équipes sont témoins au quotidien des nombreuses violations de l’accès aux soins, des entraves aux droits fondamentaux, des dysfonctionnements de prises en charge, des lacunes administratives, des failles juridiques dont sont victimes ces mineurs. Ces phénomènes ne sont pas récents et ont déjà été dénoncés à de multiples reprises par les associations. Les jeunes que nous accompagnons sont dans une situation de grande détresse, arrivant en France après un parcours migratoire tragique et n’y trouvant que désillusion.
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Un tiers de ces jeunes souffraient de psycho-traumatismes subis avant de partir ou pendant le trajet. « Les problèmes de reconnaissance d’identité sont « ravageants » pour la santé mentale. Ne serait-ce que 15 jours à la rue, c’est « ravageant », alors plusieurs semaines ou mois… L’insécurité est « ravageante »… », a listé un psychiatre de Médecins du monde. Les évaluations devraient être précédées d’un bilan de santé, a-t-il été rappelé. « Si tous les jeunes n’ont pas besoin de soins en santé mentale, tous souffrent des conditions de vie liées à l’errance, la rue et l’absence de perspective », a témoigné une des psychologues du centre d’accueil de jour de MSF à Pantin. Celui-ci partage ses activités en quatre domaines : un pôle juridique, un pôle soins, un pôle santé mentale et un pôle social.
Étendre le réseau de familles solidaires
À en croire tous les partenaires présents à la présentation du rapport, ce centre MSF à Pantin est un symbole de coordination inédite des associations de défense des migrants : Utopia 56, Médecins du monde, le Comede, Mrap, Hors la Rue, Amnesty International… Le mal-accueil des MNA aura eu au moins ceci de bon d’unir les forces.
Tout le dilemme réside dans le fait de savoir si se substituer à l’État et aux collectivités locales pour accompagner ces jeunes va dissuader les pouvoirs publics d’assumer leurs obligations ou bien au contraire les encourager à prendre leurs responsabilités, commente MSF. Dans tous les cas, l’approche doit être holistique : la prise en charge médicale, le soutien en santé mentale doit s’accompagner d’un suivi social, juridique et administratif, en partenariat avec d’autres acteurs.
Et la tâche est ardue. « Nous manquons de places d’hébergement pour les mineurs en France et de travailleurs sociaux », a témoigné MSF en souhaitant pour 2020 étendre le réseau de familles solidaires piloté par Utopia 56 – qui déniche des trios de familles pouvant héberger à tour de rôle un jeune pour une durée d’un mois – mais surtout continuer d’alerter les responsables politiques. Notamment sur les dommages engendrés par les dernières lois répressives.
En tête : la loi asile et immigration et son décret sur le fichage biométrique des MNA avec recueil d’empreintes. « Cette procédure a lieu en préfecture, lieu qui n’est pas dédié à la protection de l’enfance. Les jeunes ne savent pas bien ce qu’on leur propose et s’ils peuvent refuser, s’est offusquée Priscillia de Corson. Le message à faire passer auprès des départements c’est de ne pas mettre en application le fichage des jeunes se déclarant mineurs. »
Seule solution pour les « mijeurs » aujourd’hui : les recours juridiques. Plus de 57 % sont reconnus mineurs à l’issue des procédures alors qu’ils avaient été décrétés majeurs initialement. C’est dire l’aléatoire des dites « évaluations ». C’est dire aussi le pouvoir et la responsabilité des juges dont quelques-uns sont administrativement maltraitants. Les noms se savent et les associations se les communiquent. « Mais l’important aujourd’hui, c’est de faire en sorte que les jeunes étrangers restent bien sous la responsabilité des juges des enfants », estime Priscillia de Corson. Quand ils arrivent devant un juge administratif, la prise en charge par l’ASE s’éloigne.
Cette prise en charge par l’ASE, c’est un peu le graal pour les MNA. Mais ce n’est pas le paradis non plus : de nombreux jeunes se retrouvent en hôtel meublé, isolés, sans ressources, ni soins, ni accompagnement, a rappelé l’association Hors la rue. L’ASE, c’est une bataille gagnée, mais pas une victoire.
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