Gilets jaunes : De nouveaux horizons
Neuf mois après la première « assemblée des assemblées » de gilets jaunes visant l’unification, l’initiative s’est transformée.
dans l’hebdo N° 1575 Acheter ce numéro
En juin dernier, c’est à Montceau-les-Mines que se sont rassemblés plus de 700 participants pour la troisième assemblée des assemblées (AdA, notre photo). Des délégations de groupes de gilets jaunes (GJ) organisés localement en assemblée, venues de toute la France pour échanger, faire l’état des lieux du mouvement, et s’organiser autour d’objectifs communs. Tout cela selon un fonctionnement horizontal, qui semble cependant s’être éloigné des principes communalistes souhaités par les gilets jaunes de Commercy, qui en avaient posé les bases : des délégations envoyées par les assemblées avec un mandat impératif – défini dans la durée et dans la tâche – décidé collectivement. « On s’est rendu compte à Montceau-les-Mines qu’on était sur un mandat quasi-représentatif : des points à l’ordre du jour n’avaient pas été présentés et discutés dans les assemblées locales. Ça ressemblait plus à l’Assemblée nationale qu’au principe de mandat impératif que nous souhaitions au départ, note Steven Mathieu, GJ de Commercy, mais cet outil que nous avons créé est autonome, il n’y a pas de bureau qui décide d’un ordre du jour. Il est normal que l’assemblée des assemblées évolue en fonction des organisateurs. »
Une évolution qui peut également s’expliquer par la hausse importante du nombre de participants, qui triple en quelque mois et se diversifie. Menée par le collectif « Enquête gilets jaunes du CNRS », qui rassemble plus de 70 chercheurs en sciences sociales, dont 11 se sont concentrés sur les AdA, une étude montre une claire orientation à gauche chez les participants de Commercy. Lorsqu’on les interroge sur leur vote en 2017, on note en effet une surreprésentation des candidats de gauche et une sous-représentation du RN par rapport à la moyenne nationale, mais aussi par rapport à certains ronds-points où cette même enquête avait été menée. « A Montceau, c’est l’abstention et Jean-Luc Mélenchon qui dominaient, selon notre enquête, mais on pouvait alors noter une surreprésentation du vote Asselineau et un vote frontiste inférieure à la moyenne GJ. Il y a une ouverture, mais il serait faux de dire que ce n’est plus de gauche », explique Loïc Bonin, membre de ce groupe de recherche.
Les statistiques compilées étayent ce propos : à Montceau, sur 195 participants interrogés, 25 déclaraient appartenir à un parti, 31 à un syndicat et 16 à un parti et un syndicat. « En revanche, ce n’est plus “à gauche” comme cela a pu l’être à Commercy », tempère-t-il, où l’on pouvait noter que plus de la moitié des participants avaient une activité associative (Genepi, Chapelle debout, Vérité pour Adama…). Un constat partagé par Steven Mathieu : « À Montceau, j’ai senti une diversité énorme par rapport à Commercy, où on sentait clairement l’expérience militante de gauche lors des prises de parole. »
La « pratique gilets jaunes » est venue percuter la pratique libertaire et « ce mélange de deux modes d’organisation a donné lieu à une forme de libération quelque peu nouvelle », commente Loïc Bonin. Mais il semble que cela n’a pas suffi à rassembler au-delà des gilets jaunes, regrette Steven Mathieu. « J’aurais voulu qu’on soit dans une construction plus large, et que les assemblées ne soient pas exclusivement composées de gilets jaunes, mais deviennent des assemblées de luttes, avec d’autres collectifs, développe-t-il. Cette proposition n’a jamais été mise sur la table, on ne saura donc jamais si cela aurait eu lieu. Il est cependant certain que la force médiatique a freiné une possible convergence en nous cataloguant comme des gilets jaunes et rien d’autre, presque comme une classe sociale à part entière ». Il ne fait aucun doute que la convergence sera au centre des discussions de la 4e AdA, qui doit se tenir les 1er, 2 et 3 novembre à Montpellier, mais l’expérience communaliste à la Bookchin initiée à Commercy se poursuit pour « organiser des contre-pouvoirs locaux dans toute la France ». Une assemblée citoyenne sur le modèle de l’AdA est en préparation en vue des élections municipales de mars 2020, et une rencontre nationale des communes libres se tiendra les 23 et 24 novembre.