La grève des sans-papiers d’Île-de-France se heurte à un patron récalcitrant
Sur les douze piquets de grève établis par les travailleurs sans-papiers le 1er octobre, onze ont abouti à une reconnaissance de leurs droits. Mais un employeur fait toujours de la résistance.
Les victoires se sont succédé ces dix derniers jours. Sur la place Jean-Zay de Levallois-Perret, dans les Hauts-de-Seine, les visages sont radieux. « Alors, c’est bon, vous avez gagné ? » lance un responsable syndical. « C’était chaud ! » lui répond un ex-gréviste. Le 1er octobre dernier, quelque 130 travailleurs sans-papiers s’étaient mis en grève afin de demander leur régularisation. Douze piquets de grève avaient été lancés, simultanément. Le 10 octobre, onze employeurs avaient fourni des engagements à leurs salariés en situation irrégulière. Seul récalcitrant : l’agence d’intérim Cervus.
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Coincée dans une rue commerçante, l’agence présente porte close depuis dix jours. « On est face à un lock-out », explique Caroline Gaujard de l’union départementale CGT92. « Ils devaient voir leur avocat, finalement, ils ont appelé la police pour nous évacuer. » Elle s’interrompt, puis sur la pointe des pieds jette un coup d’œil autour d’elle : « Pardon, je surveille s’il n’y a pas la police. » Car si depuis le début de la mobilisation les réactions ont différé selon les entreprises concernées, le cas de Cervus inquiète les grévistes et les responsables CGT qui les accompagnent. Au-delà des négociations au point mort, Caroline Gaujard et ses collègues dépeignent l’attitude provocatrice, voire raciste, du gérant. Ce dernier est même accusé d’avoir sorti son sexe et feint d’uriner sur elle. Depuis l’évacuation, le rapport a pris une nouvelle tournure :
On a reçu un appel du père du patron, un ancien conseiller municipal de Levallois, qui nous a dit de faire attention, que son fils pétait un plomb et qu’il possédait des fusils de chasse.
Une plainte a même été déposée pour menace de mort par Jacques Le Noy, membre de la CGT présent sur les lieux : « On avait collé des affiches sur la vitrine et un associé est venu les arracher. Je lui ai dit « C’est malin, on va devoir les recoller » et il m’a répondu : « Si vous remettez les affiches, je vous tire dessus ! » »
Pour faire plier le gérant, les travailleurs sans-papiers des autres piquets sont venus soutenir leurs collègues. Comme Kandé, « venu en renfort » avant de reprendre le service au KFC de la place d’Italie, lui aussi touché par le mouvement : « Depuis jeudi, on a obtenu des garanties. » Fort de ces victoires, les 27 intérimaires grévistes de Cervus ne baissent pas les bras. Parmi eux, Boubakar récolte des fonds pour financer cette action qui risque de durer : « On restera là jusqu’au bout. » Depuis plus d’un an, ce Malien travaille dans le terrassement. Arrivé en France en 2002, il n’en est pas à sa première demande de régularisation : « J’ai même déjà dormi devant la préfecture ! »
Engagé pour la première fois dans une opération collective de cette ampleur, il sait que le rapport de force créé lui permettrait d’obtenir une attestation de travail à son nom, cruciale pour sa demande de régularisation. D’autant plus que son patron connaissait très bien sa situation. Le visage dur et l’index menaçant, il s’emporte : « Il le sait, il le sait qu’on n’a pas nos papiers, mais il continue de faire du commerce ! »
Marilyne Poulain, pilote du collectif immigration à la CGT, qui coordonne l’action, confirme que le patron de l’agence « était parfaitement au courant ». D’ailleurs « certains salariés ont travaillé sous trois ou quatre identités différentes » :
On est sur un système de traite d’êtres humains. L’exploitation des travailleurs sans-papiers est organisée. Il n’y a presque qu’eux qui travaillent pour Cervus.
Une passante s’arrête au niveau de la syndicaliste : « Il faut porter plainte ! Ce monsieur est coutumier du fait. Il avait déjà fait ça dans son ancienne agence, il l’a fermée, puis il a rouvert ici ! » Une combine habituelle pour ces patrons récidivistes. Accusés de fraude fiscale importante en raison de l’emploi de sans-papiers, ils préfèrent mettre la clé sous la porte et rouvrir une nouvelle entreprise en utilisant un prête-nom.
Pour l’action débutée le 1er octobre, le bilan est plutôt positif. Tous les dossiers de séjour ont été déposés en préfecture et hormis les employés de Cervus, tous ont obtenu des engagements – les fameux documents Cerfa – de la part de leurs employeurs. Toutefois, même pour ces derniers, « il y a plein de documents qui prouvent leur relation de travail », confirme Marilyne Poulain. C’est maintenant à la préfecture d’examiner les dossiers. Mais le combat est loin d’être fini. Quelques jours plus tôt, la mairie de Sèvres était investie par des travailleurs sans-papiers demandant leur régularisation. Le vendredi 11 octobre, des actions des Gilets noirs et des employés de Chronopost d’Alfortville sont également prévues.
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