La tentation néolibérale de Michel Foucault
Mitchell Dean et Daniel Zamora analysent la défiance du philosophe, à la fin de sa vie, envers le projet social-étatique.
dans l’hebdo N° 1571 Acheter ce numéro
Au printemps 1975, Michel Foucault prend du LSD avec deux amis à Zabriskie Point, en Californie. Ils « passent » ce que l’écrivain Tom Wolfe a appelé un « acid test ». Foucault en sort transformé. Comme il l’écrira à l’un des deux participants, cette « grande expérience » fut pour lui « une des plus importantes de [sa] vie ». À tel point que cela l’amène à modifier entièrement le plan de sa gigantesque Histoire de la sexualité – pourtant annoncé dans le premier volume, La Volonté de savoir (Gallimard, 1976). Cette expérience est surtout pour lui synonyme d’une nouvelle « technique de soi », objet sur lequel il écrira beaucoup, qui coïncide avec sa quête d’une « nouvelle forme de gouvernementalité de gauche », davantage ouverte aux expérimentations sociales, aux espaces minoritaires et d’abord à « une plus grande autonomie du sujet vis-à-vis de lui-même ». C’est aussi le moment où il se détache radicalement du marxisme, ne croyant plus aux grands soirs dirigés par et pour un prolétariat en tant que bloc historique, mais davantage encore se méfiant du projet social-étatique cher à la « première gauche ».
C’est tout l’objet de cet essai, d’autant plus passionnant qu’il propose une vue d’ensemble des travaux sur Foucault, en particulier des débats sur son rapport au néolibéralisme. Ses auteurs, Mitchell Dean et Daniel Zamora (1), tous deux spécialistes du philosophe, ne limitent pas leur approche aux débats franco-français. Ils ne se privent d’ailleurs pas d’épingler certains ouvrages français, comme ceux de Christian Laval ou de Geoffroy de Lagasnerie, qui, selon eux, ignorent trop ces débats étrangers ou en font une lecture trop contemporaine et idéologique.
L’apport de cet essai important est de replacer la pensée de Foucault sur le néolibéralisme, alors naissant, dans son contexte politique de l’époque. De par ses travaux précédents, Foucault est naturellement méfiant envers l’État et voit dans le néolibéralisme un possible « foyer utopique ouvrant de nouvelles perspectives pour une gauche délivrée du projet socialiste tel que formulé au XIXe siècle ». Il rêve de « se servir du néolibéralisme pour penser un autre type de politique » délivré de « l’horizon indépassable du marxisme » et de la tutelle sociale-étatique qu’il sous-tend.
Décédé du sida en 1984, Michel Foucault n’a pas vu ensuite le démantèlement des protections sociales dû aux politiques néolibérales, ce que soulignent les auteurs. Mais le néolibéralisme lui a certainement semblé promouvoir – potentiellement – une plus grande autonomie des sujets vis-à-vis de l’État, thème porté par Mai 68 puis par la deuxième gauche. Un grand philosophe peut aussi se tromper.
Le Dernier Homme et la fin de la révolution : Foucault après Mai 68, Mitchell Dean et Daniel Zamora, Lux Canada, 232 pages, 16 euros.
(1) Mitchell Dean et Daniel Zamora sont sociologues, respectivement à la Copenhagen Business School et à l’Université libre de Bruxelles.