Le cynique calcul de Macron
En focalisant le débat sur l’immigration, le président ressort les vieilles ficelles électoralistes et court après Marine Le Pen. Courte vue : il détournera peut-être les critiques de sa politique sociale, mais n’affaiblira pas le RN.
dans l’hebdo N° 1572 Acheter ce numéro
Pour contenir l’extrême droite, faut-il se porter sur son terrain ? Emmanuel Macron semble en être convaincu. Depuis quelques semaines, le président de la République s’alarme de la croissance des demandes d’asile, objet, selon lui, « d’un contournement si ce n’est d’un détournement ». S’émeut d’une dérive des dépenses de l’aide médicale d’État (AME). Voudrait revoir les prestations dont bénéficient les demandeurs d’asile. Des prises de position qui troublent jusque dans les rangs du gouvernement et choquent une partie de sa majorité.
À la mi-temps de son quinquennat, le chef de l’État entend bien enfourcher le cheval de bataille de l’immigration. « Nous n’avons pas le droit de ne pas regarder le sujet en face », a-t-il lancé, le 16 septembre, devant les parlementaires de la majorité réunis par leur ministre Marc Fesneau. Avant de les inviter à ne pas être « le parti bourgeois » : « Les bourgeois ne croisent pas l’immigration. Ce sont les territoires les plus pauvres qui sont le réceptacle. Les classes populaires, elles, subissent le chômage, la pauvreté, mais elles subissent aussi ce sujet. » Une ritournelle maintes fois fredonnée par Jean-Marie Le Pen, et reprise par sa fille.
Le 11 avril 2012, Marine Le Pen déclarait ainsi sur le plateau de France 2 : « C’est bien de faire de la générosité quand on est confortablement assis dans son salon du XVIe arrondissement, mais l’immigration que nous avons accueillie depuis trente ans, ce ne sont pas les élites qui la subissent, qui partagent leur logement avec eux, et qui accessoirement de temps en temps partagent leurs emplois. Ce sont les classes populaires, ce sont les classes moyennes à qui on a dit “poussez-vous, faites un peu de place parce qu’il y a du monde à accueillir”. »
Cette opposition entre les « bons sentiments » – Emmanuel Macron invite régulièrement à s’en méfier –, qui seraient ceux des « bourgeois » ou des « élites », et la réalité que vivraient les classes populaires est une rhétorique que la droite partage parfois avec l’extrême droite. Dans le même esprit, Nicolas Sarkozy (version primaire de la droite et du centre) raillait, lui, les « bobos » quand à la même époque le candidat Macron faisait l’éloge d’Angela Merkel qui avait facilité l’accueil de 900 000 réfugiés et dénonçait – pour se distinguer de Manuel Valls – « une forme de repli d’une partie de la gauche qui n’assume plus le fil millénaire de notre histoire », alors que « le repli sur soi porte en germe la guerre civile ». « Le sujet de l’immigration ne devrait pas inquiéter la population française », déclare-t-il encore le 2 mars 2017 dans l’hebdomadaire protestant Réforme. « L’immigration fait partie du monde dans lequel nous vivons », poursuit-il, ajoutant de surcroît qu’elle « se révèle être une chance d’un point de vue économique, culturel, social ».
Ce 16 septembre, c’est un tout autre discours qu’il tient devant les parlementaires de sa majorité, qu’il veut convaincre d’être plus durs sur l’immigration. « La gauche n’a pas voulu regarder ce problème pendant des décennies, leur lance-t-il. Les classes populaires ont donc migré vers l’extrême droite. On est comme les trois petits singes : on ne veut pas regarder. » Ce virage sur l’aile est dicté par un calcul électoraliste revendiqué. Après deux années sans élection au cours desquels son gouvernement a conduit au pas de charge des réformes essentiellement économiques, Emmanuel Macron a vu sa liste aux européennes devancée par celle du Rassemblement national. De peu, mais doublée tout de même, quand il avait fixé à ses troupes l’objectif d’arriver en tête. Alors que d’autres scrutins plus cruciaux s’annoncent à un rythme rapproché – municipales en mars 2020, sénatoriales en septembre, régionales et départementales en mars 2021 –, il veut mettre l’accent sur la sécurité, le communautarisme et l’immigration. Ce qu’il appelle « le régalien », dans les briefings qu’il tient à ses ministres et aux responsables de sa majorité, sera un axe fort de l’acte 2 de son quinquennat. Dans son esprit, il s’agit de couper l’herbe sous le pied de Marine Le Pen, dont le parti, il l’affirme, est son « seul opposant sur le terrain ». « Il faut confirmer cette opposition, car ce sont les Français qui l’ont choisie. Il y a deux projets : celui du repli, faire peur ou bâtir une solution ouverte mais pas naïve. »
Le calcul est risqué. D’abord parce que cette « triangulation » qui consiste à reprendre les thèmes de l’adversaire, si elle peut temporairement être électoralement payante, a toujours conduit peu ou prou ceux qui s’y sont livrés à adopter les modes de pensée de leurs adversaires. Tony Blair en est un bon exemple. La triangulation se révèle à terme une capitulation idéologique. Parions que le virage macroniste ne fera qu’aggraver l’emprise du discours lepéniste sur les consciences. La plupart des présidents qui depuis trente ans ont eux aussi revendiqué leur volonté de « parler “sans tabou” de l’immigration n’ont jamais empêché le Front national d’exister et de s’installer durablement dans la politique », rappelait récemment Jérôme Fourquet, de l’Ifop.
Pour l’heure, le virage d’Emmanuel Macron a surtout ouvert la boîte à fantasmes et à poncifs les plus éculés sur l’immigration. Un racisme « bourgeois » peut tranquillement étaler ses préjugés dans les talk-shows des chaînes d’info avec l’excuse de participer au débat ouvert par le chef de l’État. Et l’on a assisté, lundi, à l’Assemblée nationale, où les députés débattaient librement, sans texte ni vote, de la politique migratoire, à un concours Lépine des idées les plus régressives en matière de liberté et d’humanité. Beau résultat !