« Oleg », de Juris Kursietis : Noir sur noir
Avec _Oleg_, Juris Kursietis brosse le portrait d’un migrant letton confronté à l’âpreté de la vie.
dans l’hebdo N° 1575 Acheter ce numéro
C’est un souvenir, celui d’une grand-mère qui raconte à son frêle petit bonhomme l’histoire de l’agneau sacrificiel. Une histoire qui fait chialer le mouflet. Pourquoi ? interroge la vieille dame, « c’est une histoire pleine d’espoir ». Le môme ne pige pas. Tu parles d’un espoir ! Et n’y voit qu’une triste fin, la mort de l’agneau innocent. Avant de s’identifier à l’agneau pour la vie. Préambule religieux âpre pour un film qui ne l’est pas moins.
Né à Riga, en Lettonie, garçon boucher détaillant des morceaux de barbaque, Oleg (qui donne son titre au film, interprété par Valentin Novopolskij, au visage, en effet, doux comme un agneau), criblé de dettes et dans la mouise des obligations familiales, quitte sa terre natale pour la Belgique dans l’espoir d’un salaire décent. Il trouve un emploi dans un atelier de découpe de viandes. Trahi par un collègue qui lui colle sur le dos un accident de travail, il est viré. Une existence d’errances commence, celle du migrant en quête de turbin, au jour le jour, à la petite semaine. Avant de tomber dans les pattes et sous l’emprise d’un mafieux polonais qui lui procure un faux passeport, gîte et couvert. Et les mauvais coups. Sale aubaine charitable orchestrée par un Tony Montana (Scarface) venu de l’Est, hystérique, violent, mégalomane (joué remarquablement par Dawid Ogrodnik, n’en rajoutant jamais, qui ne surenchérit pas dans la démesure de son personnage), qui prend le dessus comme un loup sur un agneau.
Construit à partir d’une histoire vraie, et suivant une enquête journalistique autour des travailleurs étrangers en Europe de l’Ouest, Oleg se veut le récit d’un modeste ouvrier, exploité, abusé, à l’horizon limité, en perdition, prisonnier de sa condition, le récit d’une défaite annoncée. Fatalité oblige. Peu de respiration ni de récréation dans ce coup de projecteur sur un destin filmé par le réalisateur letton Juris Kursietis, qui suit de très près son personnage, le tient au collet, dans un presque corps-à-corps, caméra à l’épaule, dans un rapport quasi claustrophobe. De quoi asphyxier. C’est aussi le défaut de ce film, accroché à un réalisme sans nuance ni subtilité, qui s’avance sur des rails dans la tension et la noirceur, sans issue, mais sans surprise non plus, illustré par de longs plans séquences à peine éclairés, où s’agite un jeu d’ombres contrastant avec les couleurs acidulées, pétaradantes et tranchantes d’un atelier de découpe de viandes et la quiétude de références bibliques émaillant le film.
Oleg, Juris Kursietis, 1 h 48.