Retraites : la punition bicarrée
La réforme des retraites sera une peine deux fois double pour les travailleurs.
dans l’hebdo N° 1573 Acheter ce numéro
En mathématiques, une fonction polynôme du quatrième degré s’appelle fonction bicarrée. La réforme des retraites d’Emmanuel Macron sera une peine deux fois double, donc bicarrée.
Première peine : un système de retraite par points, sous couvert d’égalité entre les travailleurs, entérine les difficultés des parcours professionnels, puisque les périodes de chômage, de temps partiel et de précarité entraîneront la baisse des pensions de ceux et surtout de celles qui en auront été victimes. La contributivité et l’idéologie du choix individuel sont renforcées. En passant à un système à cotisations définies, on ne saura jamais à l’avance la valeur du point servi, et l’incertitude demeure sur la règle d’indexation des salaires pris en compte et sur celle des pensions.
Deuxième peine : quand ils arrivent à 60 ans, les travailleurs ne sont pas égaux devant l’espérance de vie. Un homme cadre a une espérance de vie supérieure de 6,4 ans à celle d’un ouvrier. Donc la promesse de Macron selon laquelle 1 euro de cotisation donnera le même droit à tous est mensongère. Par principe, le système par points ignore les différences de pénibilité entre les travaux. Et les plus pénibles sont presque toujours moins payés que les autres, donnant droit à des pensions plus faibles, via des cotisations moindres.
Troisième peine : après avoir tergiversé sur l’âge pivot de retraite à taux plein, Macron a annoncé, le 26 août, qu’il préférait allonger la durée de cotisation. Puis, nouveau changement de pied : on aura droit sans doute aux deux, âge rebaptisé d’équilibre à au moins 64 ans et durée de cotisation plus longue. Parce que, vu le chômage et le fait que seulement la moitié des personnes sont encore en emploi au moment de la liquidation de leur retraite, l’équilibre financier des retraites serait repoussé à 2042. Et parce que, avant le lancement de son « grand débat », Macron a déclaré : « Ce n’est pas une réforme des retraites, c’est une réforme du travail dans la société et du cycle de vie. Parce que, ce qu’on va devoir penser, c’est comment on travaille tout au long de sa vie » (Les Échos, 26 septembre). Ainsi, la réflexion sur le sens du travail passe à la trappe, mettant à nu la mystification des velléités écologiques du président.
Quatrième peine : le rapport Delevoye, en juillet dernier, a décidé que la part des pensions dans le PIB ne devrait plus jamais dépasser le niveau actuel de 13,8 %. Et cela en dépit du fait que le nombre de personnes âgées et leur proportion dans la population augmenteront dans les décennies à venir. En figeant pour toujours le taux global de cotisation à 28,1 % des salaires bruts, un même gâteau sera à partager entre des convives plus nombreux. Ainsi est évacuée la question de la répartition de la richesse produite entre travail et capital. Or une hausse du taux de cotisation de seulement 0,2 point de pourcentage par an ou bien un élargissement de l’assiette des cotisations à la valeur ajoutée nette suffiraient pour accompagner le vieillissement de la population. Mais on ne touche pas au capital : la punition bicarrée pour les travailleurs est une prime à la puissance 4 pour celui-ci.
Jean-Marie Harribey Membre du conseil scientifique d’Attac
Chaque semaine, nous donnons la parole à des économistes hétérodoxes dont nous partageons les constats… et les combats. Parce que, croyez-le ou non, d’autres politiques économiques sont possibles.
Chaque jour, Politis donne une voix à celles et ceux qui ne l’ont pas, pour favoriser des prises de conscience politiques et le débat d’idées, par ses enquêtes, reportages et analyses. Parce que chez Politis, on pense que l’émancipation de chacun·e et la vitalité de notre démocratie dépendent (aussi) d’une information libre et indépendante.
Faire Un Don