Tomber de Zemmour en Finkielkraut

Sébastien Fontenelle  • 15 octobre 2019 abonné·es
Tomber de Zemmour en Finkielkraut
© crédit photo : SAMUEL BOIVIN / NURPHOTO

Franchement, ça serait quand même pas mal que tu arrêtes de te moquer du monde, Le Monde. Ou que tu te décides, à tout le moins, à effectuer, pour de bon, et une fois pour toutes, quelques choix un peu drastiques.

Parce que bon : c’est bien beau, de publier, comme tu l’as fait l’autre jour, un édito rageur pour dénoncer « la haine télévisée » que propagent les chaînes qui continuent à offrir des tribunes à Éric Zemmour (1).

Mais en même temps que tu distribues ainsi des leçons de maintien antiraciste aux hôtes de ce glaçant personnage en leur remontrant qu’il faut qu’ils cessent d’assurer sa promo, tu continues, de ton côté, comme si de rien n’était, à ouvrir grand tes pages à Alain Finkielkraut, de l’Académie française. En septembre dernier, par exemple, l’un de tes collaborateurs lui a encore offert une page entière pour célébrer la publication de son nouveau livre – qui lui a également valu d’être invité à peu près partout ailleurs dans la presse et les médias dominants.

Or, si tu prends quelques minutes pour y regarder d’un peu près, tu t’apercevras enfin que Finkielkraut, bien souvent, dit les mêmes abjectes absurdités que Zemmour. Il les dit parfois de façon un tout petit peu plus contournée, peut-être (2). Mais ce sont les mêmes. Comme Zemmour, à qui tu reproches précisément (et à raison) de colporter cette saleté, il propage notamment l’infecte fantasmagorie selon laquelle des musulmans seraient venus « remplacer » les Français de souche : c’est ce qu’il exprime très distinctement lorsqu’il fustige le « “remplacisme global” dénoncé à juste titre par » son cher ami Renaud Camus, pour qui, assure-t-il encore, « c’est un crève-cœur de savoir que tant de Français vivent à Saint-Denis, Sevran, La Courneuve, Tourcoing et même dans certains quartiers de Paris comme dans une terre étrangère (3) ».

D’où vient alors que tu continues, dans le moment précis où tu tonitrues que Zemmour est impraticable, à traiter Finkielkraut comme un hôte fréquentable ? Se pourrait-il que tu n’aies pas encore complètement mesuré ce que les dorures françaises et les prestiges républicains portent de dégueulasse – et que tu juges encore, en 2019, qu’une obscénité devient plus recevable lorsqu’elle est dite par une éminence enveloppée dans un habit vert d’académicien ?


(1) Entends-moi bien : tu as eu parfaitement raison de tonner contre ces complices du pire. Puis c’est assurément un sujet que tu maîtrises – car tu es bien placé pour savoir que Zemmour n’est pas seul à délirer, comme tu le déplorais dans l’édito en question, sur la prétendue substitution d’une population de musulman·e·s à un très fantasmatique peuple français : deux de tes journalistes, et non des moindres, n’ont-ils pas commis récemment un ouvrage dénonçant – c’était son sous-titre – « l’islamisation à visage découvert » d’un département francilien ?

(2) Ou peut-être pas.

(3) Et il vient encore de proférer très sérieusement, chez BFM TV, où il est aussi accueilli avec une constante déférence et où personne ne lui a évidemment remontré que c’était (encore) un mensonge, que la France n’était « pas un vieux pays d’immigration ».

Publié dans
De bonne humeur

Sébastien Fontenelle est un garçon plein d’entrain, adepte de la nuance et du compromis. Enfin ça, c’est les jours pairs.

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