Un débat fourre-tout et dangereux

Après des semaines de désinformation, le gouvernement a offert à l’Assemblée nationale le spectacle affligeant de sa duplicité, et un mégaphone aux pires surenchères anti-immigrés.

Michel Soudais  • 9 octobre 2019 abonné·es
Un débat fourre-tout et dangereux
© crédit photo : Alain JOCARD/AFP

Tout ce ramdam pour ça ? Lundi soir, à l’issue du débat voulu par le gouvernement sur la politique migratoire de la France et de l’Europe, qui aura occupé près de cinq heures durant l’Assemblée nationale, l’utilité de cette discussion sans texte ni vote suscitait encore moult interrogations. Il n’est pas question de nouvelle loi, a confirmé Édouard Philippe avant d’affirmer en conclusion que l’exécutif entendait « utiliser les textes à venir » pour « traduire, mesure par mesure, ces décisions en actes ». Mais quelles décisions ?

En introduction au débat, le Premier ministre s’est contenté d’esquisser « six orientations » visant à durcir la politique migratoire. Orientations que les ministres qui intervenaient à sa suite n’ont guère précisées. Soit qu’ils doutent de leur pertinence. Soit, l’hypothèse a été avancée par Jean-Luc Mélenchon, qu’ils se soient eux-mêmes « effrayés des conséquences de ce [qu’ils avaient] déclenché ».

Car depuis qu’Emmanuel Macron a enjoint à ses troupes de disputer à Marine Le Pen le sujet de l’immigration, que n’a-t-on entendu. Pour les chaînes d’info, qui n’ont pas raté l’occasion d’organiser des débats sur la stratégie du Président, il était temps que ce dernier se saisisse du « problème ». Sur BFMTV, c’est Éric Brunet qui agitait les peurs en évoquant « 400 000 entrés en France », chiffre qu’il tenait de… Brice Hortefeux et montre bien que « la France ne peut pas faire face à cette arrivée massive ». Le même bateleur assurait doctement que « l’aide sociale en France, c’est 20 % de l’aide sociale du monde » (sic), ce qui en fait, évidemment, « le pays le plus généreux du monde ». Même l’inusable Alain Duhamel a poussé le gouvernement à se montrer intraitable : « Ça fait quarante ans que les gouvernements essaient de prendre des décisions dont les effets sont notoirement insuffisants. » Bien des jours avant de retransmettre en direct, sans contradiction, le discours fascisant d’Éric Zemmour à la Convention de la droite, LCI n’avait rien à opposer à Louis de Raguenel, de Valeurs actuelles, quand ce dernier déclarait qu’il était possible de « s’attaquer au problème de l’immigration légale en réduisant les regroupements familiaux et en réduisant les étudiants étrangers ».

Les responsables de la macronie n’ont pas été en reste. Le 10 septembre, Stanislas Guerini ouvrait le bal en confortant le préjugé selon lequel le système serait plus avantageux pour les sans-papiers. Pressé sur CNews de donner des exemples d’abus auxquels se livreraient certaines personnes en situation irrégulière sur notre territoire, bénéficiaires de l’Aide médicale d’État (AME), le député de Paris et patron de La République en marche (LREM) lâche : « par exemple pour financer des prothèses mammaires. Là, on voit bien qu’on n’est pas en situation d’urgence ». La pseudo-info démentie le lendemain par la ministre de la Santé, Agnès Buzyn, venait semble-t-il d’une source gouvernementale et tournait déjà comme un élément de langage. On la retrouvait le même jour dans Les Échos, et elle était reprise par plusieurs députés, notamment l’élue MoDem de Loire-Atlantique Sarah El Haïry.

Invité le 20 septembre des journées parlementaires du parti de François Bayrou, le ministre de l’Intérieur, Christophe Castaner, pourtant en charge du dossier, y déclarait avec assurance que près de 70 % des demandeurs d’asile en Europe déposaient leur demande en France : « 124 000 personnes ont demandé le statut de réfugié en France sur 180 000 à l’échelle de l’Europe, vous êtes d’accord pour dire que ce n’est pas logique. » Interrogé, le ministère de l’Intérieur a dû reconnaître une « confusion », le chiffre de 180 000 correspondant en réalité « au nombre d’entrées irrégulières dans l’Union en 2018 ». D’après les statistiques annuelles d’Eurostat, 580 800 personnes ont demandé l’asile dans l’Union européenne en 2018, plaçant la France en deuxième position (19 %), derrière l’Allemagne (27,9 %).

Le 23 septembre sur LCI, Sibeth Ndiaye, la porte-parole du gouvernement, déclarait tout de go qu’« aujourd’hui, les gens qui majoritairement demandent l’asile en France » viennent de pays d’origine sûrs. Une affirmation contredite par l’Office français de protection des réfugiés et apatrides (Ofpra), qui, interrogé par Le JDD, précisait que, depuis le début de l’année, seulement 23 % des demandeurs d’asile, hors mineurs, étaient dans ce cas. Un chiffre stable puisqu’en 2018 ils représentaient 25 % des demandes, selon les données Eurostat.

Après plusieurs semaines d’un déballage nauséabond, le débat à l’Assemblée nationale a paru presque lisse. Après le ministre des Affaires étrangères, Jean-Yves Le Drian, qui a exposé sans état d’âme particulier comment la France conditionnerait davantage l’aide publique au développement dans les pays du Sud à leur collaboration dans la lutte contre l’immigration irrégulière, Christophe Castaner a paru quelque peu en retrait par rapport aux pistes avancées par Édouard Philippe (durcissement des conditions d’accès à la naturalisation, baisse du montant de l’allocation pour demandeurs d’asile…). Alors que ce dernier venait d’évoquer la nécessité de « resserrer les critères » de l’immigration familiale, le ministre de l’Intérieur a assuré qu’elle était « stable », laissant entendre qu’il n’y avait pas lieu d’y toucher. Deux semaines auparavant, le même s’était étonné devant les parlementaires du MoDem que la France soit « le seul pays où un titre de séjour suffit » à actionner le regroupement familial ; l’affirmation était fausse et le ministre de l’Intérieur l’aura sûrement appris entretemps.

Le pied sur le frein également, Agnès Buzyn a défendu avec des accents de conviction dans la voix le système de protection sanitaire des immigrés en vigueur, dénonçant « malentendus » et « caricatures » : « Oui, en France, on ne laisse pas des personnes périr parce qu’il leur manque le bon tampon sur le bon document. » Concernant l’AME, « un impératif de santé publique que de ne pas laisser des maladies s’aggraver et potentiellement se propager », elle a cependant annoncé un vague « plan de lutte contre les fraudes ». Il fallait bien s’inscrire dans la volonté présidentielle, rappelée quelques minutes auparavant par Édouard Philippe, de faire en sorte que « la France ne [soit] ni plus ni moins attractive que ses voisins ».

Hors l’exhortation à « accepter de réviser nos logiciels », répétée par le Premier ministre et les ténors LREM, ces cinq heures d’échange dans une assemblée clairsemée n’ont permis de rien arrêter, ni de décider de rien. Elle aura toutefois permis au Rassemblement national (RN) et aux élus mal-nommés Les Républicains (LR) de proposer leur logiciel à l’exécutif, accusé de se contenter de belles paroles. Si Marine Le Pen s’est contentée de fustiger « l’immigration anarchique » et la « submersion » que subit le pays, le député LR de l’Yonne Guillaume Larrivé, premier orateur de son groupe, a livré un programme bien plus détaillé dont on peine à voir ce qui le distinguerait de celui du RN : mise en place d’une « charte de l’immigration » adossée à la Constitution et soumise à « référendum », pour donner des « pouvoirs nouveaux » au gouvernement. Qualifier ces pouvoirs de spéciaux serait plus juste. Cet ancien conseiller de Nicolas Sarkozy, candidat à la présidence de son parti, prône « la suppression du droit du sol » et suggère de s’affranchir de certaines dispositions de la Convention européenne des droits de l’homme (!) car « ce n’est pas aux juridictions, aux organisations supranationales, à la bureaucratie ou aux candidats à l’immigration eux-mêmes de décider de la politique de la France ». Le cadre constitutionnel qu’il propose doit permettre au gouvernement de « décider librement d’attribuer ou de retirer une carte de séjour », de « plafonner l’immigration par décret », de « suspendre le regroupement familial » ou encore de « réserver l’asile aux vrais réfugiés politiques ». Preuve s’il en fallait que l’ouverture par Macron d’un énième débat sur l’immigration ne peut conduire qu’à de nouvelles surenchères.

Politique
Temps de lecture : 7 minutes

Pour aller plus loin…

Congrès PS : sauver ou dégager Olivier Faure ? Les socialistes à fond les manœuvres
Politique 22 novembre 2024 abonné·es

Congrès PS : sauver ou dégager Olivier Faure ? Les socialistes à fond les manœuvres

Les opposants au premier secrétaire du parti tentent de rassembler tous les sociaux-démocrates pour tenter de renverser Olivier Faure. Mais le patron des roses n’a pas dit son dernier mot. Au cœur des débats, le rapport aux insoumis. Une nouvelle fois.
Par Lucas Sarafian
2026 : un scrutin crucial pour les quartiers populaires
Quartiers 20 novembre 2024 abonné·es

2026 : un scrutin crucial pour les quartiers populaires

Assurés d’être centraux dans le logiciel insoumis, tout en assumant leur autonomie, de nombreux militant·es estiment que 2026 sera leur élection.
Par Hugo Boursier
« Les municipales sont vitales pour que La France insoumise perdure »
Élections municipales 20 novembre 2024 abonné·es

« Les municipales sont vitales pour que La France insoumise perdure »

L’historien Gilles Candar, spécialiste de la gauche et membre du conseil d’administration de la Fondation Jean-Jaurès, analyse l’institutionnalisation du mouvement mélenchoniste et expose le « dilemme » auquel seront confrontés ses membres aux élections de 2026 : l’union ou l’autonomie.
Par Lucas Sarafian
Municipales 2026 : LFI à la conquête des villes
Enquête 20 novembre 2024 abonné·es

Municipales 2026 : LFI à la conquête des villes

Le mouvement insoumis prépare son offensive pour remporter des mairies aux prochaines municipales. Des élections qui engagent un bras-de-fer avec les socialistes et légitimeraient la stratégie de Jean-Luc Mélenchon sur l’abstentionnisme et les quartiers populaires.
Par Lucas Sarafian