Une si longue patience (1)
Le directeur de la rédaction du JDD veut suggérer que « l’islam » serait infiniment plus anxiogène que la casse des services publics.
dans l’hebdo N° 1575 Acheter ce numéro
C’est dimanche. « Le jour du Seigneur », comme on dit en République laïque. Tu es musulman·e : tu te réveilles un tout petit peu soulagé·e. Car la semaine a été particulièrement immonde – même à l’aune de ce qu’avaient été les précédentes, où la furia islamophobe avait atteint des pics –, et tu te dis qu’aujourd’hui, au moins, tu vas bénéficier d’une courte trêve. Que les harceleurs de muslims vont s’accorder un petit répit dominical, et par conséquent te foutre la paix pendant vingt-quatre heures.
Raté : au matin, tu découvres que la persécution (2) n’aura décidément pas de fin et que le directeur de la rédaction du Journal du dimanche (3) s’est à son tour fendu – pour se divertir, peut-être, des ahurissantes plaidoiries pro-Sarkozy (4) qui l’ont occupé tout l’été – d’un éditorial spécialement malplaisant, qui ouvre un dossier dédié à l’arraisonnement de la religion mahométane, et dont le titre proclame, sur la foi d’un sondage commandé pour l’occasion, que : « Face à l’islam, les Français s’inquiètent. »
Et certes, cet irréprochable professionnel (5) concède, dans ce papillon, que d’après ce même sondage : « La lutte contre l’islamisme et la défense de la laïcité (6) arrivent loin derrière la santé et le chômage parmi [les] priorités » des « Français ». Mais peu lui chaut : il n’a que faire, quant à lui, de ce qui semble donc intéresser au premier chef – et beaucoup plus que la fustigation d’une religion – ses compatriotes. Il veut plutôt leur suggérer, en fidèle servant de la doxa régnante, que « l’islam » serait infiniment plus anxiogène que la casse des services publics de l’emploi et de la santé.
Et nul·le ne sait par quels tranquilles prodiges les victimes de cette molestation arrivent à rester si extraordinairement placides sous ce matraquage – pendant que, dans la « gauche », des doctes en sont encore à se gargariser de ne pas tomber, quand ce racisme fait des ravages, dans « le piège du terme “islamophobie” ».
Mais merci à vous, musulman·e·s : pour votre indulgence, et votre si longue patience.
(1) Au jugé : je dirais que j’ai déjà utilisé ce titre, jadis ou naguère, pour cette chronique. Mais bon : my garage, my rules.
(2) Qui est, rappelons-le, l’« action de tourmenter quelqu’un par des traitements injustes et cruels ».
(3) Dont l’actionnaire principal est le Qatar : preuve, s’il en fallait, que la sévérité antimusulmane dont cette publication fait ici preuve intra-muros s’accommode parfaitement, et sans surprise aucune – car les capitalistes sont ainsi constitués que nulle honte, jamais, ne leur éblouit les yeux –, d’être financée par des contrées où la religion mahométane se décline sur un mode un peu râpeux.
(4) D’où ressortait que l’ancien président, dont le quinquennat fut marqué par les sinistres affaires que l’on sait, était la victime d’une cabale judiciaire, emmenée par une poignée de juges et par les gens de Mediapart.
(5) Qui dirigera désormais, en sus de celle du JDD, la rédaction de Paris Match – autre haut lieu fameux de l’intégrité journalistique.
(6) Pour réussir, d’un seul coup, plusieurs amalgames : ne jamais rester plus de quelques lignes sans mélanger, dans le même papier, les mots « islam », « islamisme » et « laïcité ».
Sébastien Fontenelle est un garçon plein d’entrain, adepte de la nuance et du compromis. Enfin ça, c’est les jours pairs.