À Madrid, une COP pour rien ?
Le sommet sur le climat s’ouvre en Espagne sur un constat accablant : les émissions s’accroissent et l’accord de Paris reste virtuel.
dans l’hebdo N° 1579 Acheter ce numéro
Les COP sont devenues la chambre d’écho des Cassandre du climat. Ces sommets annuels sous l’égide des Nations unies baignent dans une surenchère de mauvaises nouvelles, dont l’impact semble nul sur la communauté internationale des décideurs. En début de semaine, l’Organisation météorologique mondiale signalait que la concentration atmosphérique en gaz à effet de serre avait encore augmenté en 2018, « sans aucun signe de ralentissement ». Le bulletin de santé est catastrophique et, à l’heure où s’ouvre à Madrid la COP 25 (du 2 au 13 décembre), la diplomatie climatique, ballottée par des péripéties sans précédent (1), semble plus que jamais impuissante à déclencher le sursaut salutaire.
Unique instrument global de lutte contre le dérèglement, l’accord de Paris de 2015, entré en vigueur l’année suivante, est dans un état lamentable. Certains de ses mécanismes clés sont toujours en discussion. La signature de 195 pays (presque toute la planète) n’avait été obtenue qu’au prix d’une entourloupe : alors que la déclaration commune affirme l’ambition de limiter le réchauffement planétaire à 2 °C, « voire 1,5 °C si possible », les engagements nationaux de réduction des gaz à effet de serre, compilés, ne couvraient qu’un tiers de l’effort nécessaire. « Non seulement très insuffisants, ils sont en outre loin d’être tenus », souligne Lola Vallejo, directrice du programme climat de l’Institut du développement durable et des relations internationales (Iddri).
Il avait été convenu à Paris que l’on mettrait bon ordre à cette situation sous cinq ans. Le rendez-vous, l’an prochain pour la COP 26, s’annonce déprimant : selon une étude de la Fundación ecológica universal (FEU), à ce jour, les trois quarts des « plans climat » des pays signataires de l’accord de Paris sont « totalement inadéquats ». D’importants émetteurs, comme la Russie, la Turquie ou l’Iran, n’ont toujours pris aucun engagement. Les États-Unis, par la voix de Trump, ont mis à exécution leur décision de sortir de l’accord. « Les pays qui ont rehaussé leurs objectifs ne représentent que 10 % des émissions mondiales », constate Lola Vallejo. Le plus vertueux : les Îles Marshall, qui comptent pour 0,0003 % des émissions mondiales… Les rapports scientifiques du Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (Giec) calculent qu’il faut agir drastiquement avant 2030 pour avoir une chance de gagner le pari « 2 °C ». Selon la tendance actuelle, c’est à une hausse de 3 à 4 °C qu’il faut se préparer pour la fin du siècle.
L’attitude des plus gros pollueurs est bien sûr déterminante. Même hors accord de Paris, les États-Unis, une fois de plus, donnent le tempo : l’espoir réside dans l’élection d’un démocrate à la présidentielle de novembre 2020. La Chine, où la production d’électricité court après la demande à coups de centrales à charbon, « n’est pas du tout à la hauteur de ses engagements, constate Lola Vallejo. Peut-être le plan quinquennal de 2020 corrigera-t-il le tir ? » En Inde, les émissions ont explosé, une tendance qui se poursuivrait plusieurs années encore.
Faute de mieux, les observateurs se raccrochent aux efforts de l’Union européenne, bon an mal an le moins critiquable des poids lourds du dérèglement. Son engagement – 40 % de réduction des émissions à l’horizon 2030 – reste cependant insuffisant, et la tentative du printemps dernier de le porter à 45 % a échoué, tout comme l’objectif d’une « neutralité carbone » en 2050, barré par la Pologne, la Hongrie, la République tchèque et l’Estonie, pays charbonniers. Un blocage bientôt levé ? Le sommet européen des 12 et 13 décembre, qui coïncide avec la COP 25, peut donner à Ursula von der Leyen l’occasion de concrétiser son volontarisme climatique tout neuf. La présidente de la Commission a annoncé un fonds pour une transition juste doté de 4 milliards d’euros, indique Lucile Dufour, responsable des politiques internationales et du développement au Réseau action climat. « De quoi donner satisfaction à ces quatre pays, qui veulent des garanties d’accompagnement dans leur mutation énergétique, souligne-t-elle. Car les mesures de transition doivent être justes et s’accompagner d’un impact social positif, pour des sociétés plus égalitaires, comme on l’a vu en France avec le mouvement des gilets jaunes. »
(1) La COP 25 devait se tenir au Brésil, mais le climatosceptique Bolsonaro l’a finalement rejetée. Le Chili a pris le relais mais a jeté l’éponge, agité par de graves troubles sociaux. L’Espagne s’est portée candidate un mois à peine avant l’ouverture du sommet.