Alpine Aluminium : une reprise pleine d’incertitudes
Les salariés et la direction de la Scop craignent pour l’avenir de leur entreprise, l’offre qui semble avoir la faveur de l’administrateur judiciaire leur déplaît fortement.

L’histoire d’Alpine Aluminium avait tout d’une histoire qu’on aime raconter et lire dans les pages de Politis.
L’entreprise spécialisée dans la fonderie et le laminage d’aluminium recyclé, située sur le site des Forges de Cran – un site industriel datant de 1765, aux portes d’Annecy – faisait au départ partie de l’empire industriel Pechiney Rhénalu. Rachetée par un fonds américain (AIAC) en 2006, ce dernier la laisse fonctionner sans toutefois entreprendre de nouveaux aménagements, puis s’en désengage en 2014. Après avoir frôlé la faillite, Alpine Aluminium est sauvée par 45 de ses salariés, qui, avec leur prime de licenciement, la reprennent sous la forme d’une Scop.
#SCOP: Ca marche!
Patrick Bernasconi qui préside le Conseil économique, social et environnemental salue l'engagement de ces salariés qui ont sauvé leur entreprise en créant une Scop. Ca se passe à #Annecy (Cran-Gevrier).
Scop Alpine Aluminium: production d'aluminium@ledauphine pic.twitter.com/lz2YgH8aEf— Citoyens Résistants #RésistancesGlières (@CRHA_glieres) March 8, 2019
Des équipements vieillissants
Avec un taux de croissance dépassant les 10% sur les trois dernières années et un carnet de commandes plein – Alpine Aluminium produit notamment des disques pour les poêles Tefal et des bouteilles en aluminium pour le groupe Tournaire –, l’avenir semblait radieux.
« Selon notre plan, nous aurions dû revenir à l’équilibre en 2019 », indique Grégoire Hamel, le PDG de l’entreprise. C’était sans compter sur l’outil industriel vieillissant, qui nécessite un réinvestissement de plus de… 10 millions d’euros. Un budget inatteignable pour la Scop. L’explosion d’un four et le décès, par accident, d’un salarié ont fait le reste.
Alpine aluminium, l’une des dernières usines de traitement de l’aluminium de France, se retrouve ainsi en liquidation judiciaire à l’été 2019. Cinq offres de reprise sont présentées, deux sont finalement retenues. L’une, présentée par le grec Cosmos, promet de garder la totalité des 91 salariés et d’investir 12 millions d’euros pour les rénovations. L’autre, portée par Samfi Invest, holding familiale de l’industriel Alain Samson, et la société Industry, portée par Franck Supplisson, propose de maintenir 45 personnes en poste et de réhabiliter le site pour le remettre en marche sous une année.
Le français #Samfi Invest et le Grec #Cosmos restent en lice pour la reprise d'Alpine #Aluminium. Décision mardi 26 novembre. Les salariés et la direction appuient la candidature du Grec tandis que le mandataire et l'administrateur judiciaire appuient celle du Français. pic.twitter.com/KtCzGa8D8G
— Tribune des Métaux (@tdm_g) November 20, 2019
« C’est illusoire de dire ça, indique Grégoire Hamel, pour appuyer notre remarque, nous avons même demandé à nos fournisseurs d’écrire au tribunal de commerce pour indiquer que si cette option était retenue, ils retireraient leurs commandes », explique-t-il.
Un ancien conseiller de Nicolas Sarkozy en repreneur
Alors que l’offre de l’industriel grec a les faveurs des associés d’Alpine Aluminium, des salariés, et de leur PDG, c’est finalement celle de Samfi Invest qui semble être la préférée de l’administrateur et du mandataire judiciaire de l’entreprise, qui la jugent « plus crédible ». Par chauvinisme ? L’une des propositions de reprise étant grecque et l’autre française ? Pour des raison de trésorerie ? Mystère.
Toujours est-il que pour les salariés, l’offre des français ne fait pas le poids. « Nous sommes allés en Grèce, voir Cosmos, raconte Grégoire Hamel, et nous avons trouvé des méthodes qui nous ressemblent, une histoire qui ressemble à la nôtre, ils savent de quoi ils parlent ! » D’autant qu’ils voient d’un mauvais œil celui qui deviendrait, dans le cas où le Tribunal de commerce d’Annecy pencherait pour Samfi Invest, leur administrateur, Franck Supplisson.
Sur le papier, l’homme a de quoi donner de solides gages de confiance : polytechnicien, énarque, ancien conseiller industrie sous Nicolas Sarkozy… Il est aussi président de l’Agglomération de Montargis et, une bonne nouvelle n’arrivant pas sans l’autre, dans le collimateur de la justice. Selon France Bleu, le parquet de Montargis a ouvert, au mois d’août, une enquête préliminaire contre X pour prise illégale d’intérêts autour de la location à l’agglomération montargoise d’appartements d’une société dont Frank Supplisson est actionnaire. Et une seconde en septembre 2019, toujours contre X, pour la rénovation de la terrasse d’un restaurant cette fois.
Le souvenir d’Ascometal
Du reste, et comme l’indique l’offre de reprise d’Alpine Aluminium, Franck Supplisson n’en est pas à son coup d’essai en matière de reprise. En 2014, il avait repris Ascometal, un fabricant d’acier spéciaux, dans le nord de la France. Et sur l’un des sites lorrains, il n’a pas laissé un bon souvenir. « Il avait eu les faveurs du Tribunal de commerce, se souvient un délégué syndical de l’entreprise, quand il est arrivé on a voulu travailler avec lui. »
Mais la suite a rapidement tourné « au gros fiasco », nous dit-il. « Il avait promis de réindustrialiser certains sites en Isère et ne l’a pas fait », déplore le délégué syndical. En Lorraine, la suppression – annoncée dans l’offre cette fois – d’une soixantaine de commerciaux plonge le site dans des difficultés économiques. « Les volumes de production ont stagné, puis diminué. »
Belle victoire du redressement productif, avec la reprise d'#Ascometal, pour l'acier français et le #maintienemploi.
— ☰ Arnaud Montebourg (@montebourg) May 22, 2014
« Paroles paroles », chantait Dalida. Une rengaine reprise bien vite par les salariés d’Ascometal. La promesse d’une participation versée aux salariés sur le premier exercice comptable ? Oubliée. La vente des outils de production à un fonds anglais, puis leurs location pour maintenir une activité est aussi vue comme une aberration par les salariés d’Ascometal. « On le voyait aux comités centraux d’entreprise, quand on lui demandait où étaient passées les promesses, il nous répétait sans arrêt « on perd de l’argent, il faut retrouver du cash, il faut retrouver du cash » », se souvient de délégué syndical. Rachetée en 2017 par le suisse-allemand Schmolz+Bickenbach, l’entreprise va mieux. Mais le Tribunal de commerce d’Annecy ne semble pas entendre les craintes du directeur d’Alpine Aluminum… La décision, en délibéré, sera rendue le 26 novembre.
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