Déserter le tartare

Pour Jonathan Safran Foer, la lutte contre le dérèglement climatique passe impérativement par une réduction drastique de notre consommation de viande.

Sébastien Fontenelle  • 12 novembre 2019 abonné·es
Déserter le tartare
© Lino Mirgeler / dpa / AFP

Il y a dix ans, le romancier américain Jonathan Safran Foer avait livré dans le formidable Faut-il manger les animaux ? (1) – la réponse était non, bien sûr – le récit, pétri de délicatesse et de drôlerie, de sa conversion au végétarisme. Rien d’évident, expliquait-il : cela lui avait demandé de réels efforts, ponctués de rechutes.

Dans ce nouvel ouvrage méticuleusement documenté, il dit cette fois ses difficultés, qui sont aussi les nôtres, à prendre la mesure exacte de la catastrophe climatique : cela, constate-t-il, « demande un immense effort d’imagination. Il est épuisant d’envisager la complexité et l’échelle des menaces qui pèsent sur nous. Nous savons que le dérèglement climatique est lié à la pollution, au carbone, à la température des océans, à la disparition des forêts tropicales et des glaciers », mais « tout cela nous apparaît comme une simple question de météo ».

Or, « nous ne pourrons certainement pas nous laisser convaincre de l’urgence avant d’avoir reconnu le pouvoir qu’elle a de nous détruire. Parce que nous l’avons créée, cela signifie qu’il nous faut admettre notre capacité à nous éliminer nous-mêmes. Il nous faut être conscients de la mort qui menace, même si la catastrophe ne s’est pas encore produite, même s’il est facile de faire comme si elle n’existait pas ».

Dans cet immense péril, et cet énorme embarras que nous éprouvons à nous le représenter dans toute son extraordinaire dangerosité, Jonathan Safran Foer rappelle que, au renfort des enrôlements collectifs, chaque geste individuel compte : « Certes, il existe des systèmes à la force indéniable – capitalisme, élevage industriel, complexes industriels des énergies fossiles – qui sont difficiles à démanteler. Aucun conducteur ne peut créer un embouteillage tout seul. Mais aucun embouteillage ne peut exister sans conducteurs individuels. Nous sommes pris dans la circulation parce que nous sommes la circulation. »

Puis de préciser : « Il y a bel et bien quelque chose que nous pouvons faire. » L’élevage étant aujourd’hui une – sinon la – « cause primordiale » du dérèglement climatique : « Choisir de consommer moins de produits d’origine animale est sans doute l’action la plus importante que peut entamer un individu pour renverser le réchauffement de la planète – cela a un effet connu et significatif sur l’environnement et, prise collectivement, cette décision pourrait transformer la culture et le marché avec plus de force qu’aucune manifestation. »

Et de proposer cet engagement très concret – dont il précise que lui-même, pris comme nous tou·te·s dans l’entrelacs de ses contradictions, ne s’y était pas « essayé » avant d’écrire ce livre : ne plus consommer « aucun produit d’origine animale avant le dîner ».On essaie ?

(1) L’Olivier, 2011

L’avenir de la planète commence dans notre assiette Jonathan Safran Foer, L’Olivier, 304 pages, 22 euros.

Idées
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