Le parcours infernal des demandeurs d’asile
L’objectif affiché du gouvernement, la réduction des temps d’instruction des demandes à l’Ofpra, n’est pas nécessairement une bonne nouvelle pour les concernés. Surtout depuis la loi Collomb de 2018.
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À la permanence de la Cimade de Montreuil, ce vendredi 8 novembre, ils sont une trentaine à patienter pour être reçus par l’une des sept bénévoles présentes. Tous demandeurs d’asile, ils sont venus chercher de l’aide pour remplir le formulaire de demande qu’ils devront ensuite adresser à l’Office français de protection des réfugiés et apatrides (Ofpra), l’organisme qui décidera de leur accorder ou non le statut de réfugié. « Les témoignages que nous les aidons à rédiger dans leur dossier vont servir de base à l’Ofpra pour examiner leur demande. C’est pourquoi il faut que les personnes soient le plus précises possible sur ce qui leur est arrivé. Mais c’est souvent très compliqué du fait de la barrière de la langue », explique Valérie, coordonnatrice de la permanence. Nombre d’entre eux éprouvent des difficultés à s’exprimer en français ou même en anglais. Alors, certains trouvent de l’aide dans la file d’attente, auprès d’autres demandeurs d’asile qui, maîtrisant mieux le français, peuvent jouer les interprètes.
Des pays pas si « sûrs »
D’après le rapport d’activité de l’Ofpra, les demandes d’asile émanant de personnes originaires de pays dits « sûrs » représentaient environ 22 % – hors mineurs accompagnants (1) – des demandes en 2018. 12 % d’entre elles ont reçu un avis favorable. Pourtant, dans nombre de ces pays, des populations subissent des discriminations notamment en raison de leur orientation sexuelle. C’est pourquoi un collectif mené par l’Association pour la reconnaissance des droits des personnes LGBTI à l’immigration et au séjour (Ardhis) demandait, le 5 novembre, au conseil d’administration de l’Ofpra de supprimer 15 des 16 pays figurant sur la liste. « Les persécutions peuvent être le fait de la société, même si l’homosexualité n’est pas sanctionnée pénalement », rappelle Jean Pasteur, d’Amnesty International.
Fatou, sénégalaise, a été victime de ces violences : « J’ai longtemps caché mon homosexualité mais j’ai fini par être découverte par un de mes voisins. Alors je suis partie. Ma famille a cassé ma voiture et m’a envoyé des vidéos en me disant : “Si on t’attrape, on te fera pire.” Je n’ai jamais voulu venir en Europe, j’ai fui pour sauver ma vie. » Malgré ces récits, l’Ofpra n’a retiré aucun des pays de la liste. Les personnes restent donc sous le joug de la procédure accélérée. De ce fait, « si l’Ofpra rejette leur demande, elles risquent d’être expulsées pendant que la CNDA examine leur situation », dénonce Aude Le Moullec-Rieu, présidente de l’Ardhis.
(1) Présents sur le territoire français à la date d’enregistrement de la demande d’asile du parent.
Ousmane, malien lui aussi, est arrivé en France au mois de septembre avec un visa, désormais expiré, et n’a pas encore entrepris les démarches nécessaires à l’obtention d’un dossier de demande d’asile. « J’étais secrétaire général d’un parti politique en 2017, explique-t-il. Un jour, des opposants sont venus chez moi et ont menacé de me tuer. Alors, je suis parti dans une ville à 150 kilomètres. Mais ils m’ont retrouvé. C’est là que j’ai décidé de fuir le pays. » Mais Ousmane, comme les milliers d’autres demandeurs d’asile – l’Ofpra a enregistré 123 625 demandes pour l’année 2018 – devra s’armer de patience.
Il lui faudra d’abord appeler le numéro mis en place par l’Office français de l’immigration et de l’intégration (OFII). Très difficile à joindre d’après Valérie, ce numéro fait partie des procédures dématérialisées par les services de l’État, qui participent à « invisibiliser les demandeurs d’asile », selon la coordinatrice de la Cimade. En empêchant les usagers de se rendre physiquement dans les administrations, la dématérialisation enrayerait, de fait, la formation de files d’attente bien visibles devant les locaux. Parvenir à joindre cette plateforme représente ainsi pour Ousmane le seul moyen d’obtenir un premier rendez-vous physique dans un « guichet unique » d’Île-de-France. Là, des agents de la préfecture et de l’OFII s’entretiendront avec lui pour déterminer s’il est bien arrivé directement en France et non dans un autre pays européen (auquel cas, il devrait demander l’asile dans son pays d’arrivée). Puis lui seront délivrés : une attestation de demande d’asile, le formulaire à remplir et à retourner à l’Ofpra dans les 21 jours, ainsi qu’une allocation pour demandeur d’asile (ADA) et un lieu d’hébergement. Enfin, l’Ofpra le convoquera pour qu’il raconte une nouvelle fois son histoire. Un officier de protection instruira son dossier et rendra sa décision dans les six mois qui suivent, en théorie… En cas de refus, un recours est possible devant la Cour nationale du droit d’asile (CNDA).
Ces démarches sont longues, complexes pour qui ne maîtrise ni la langue ni les subtilités de l’administration française, et doivent être entreprises rapidement. Car la loi asile et immigration – la loi Collomb –, promulguée en septembre 2018, a encore raccourci le délai alloué aux demandeurs d’asile pour entreprendre ces démarches. Ceux-ci doivent désormais déposer leur dossier au plus tard 90 jours après leur arrivée sur le territoire, contre 120 jours auparavant. L’objectif ? Réduire les temps d’instruction des demandes à 6 mois contre 12 en moyenne (recours devant la CNDA inclus). Une intention présentée par le gouvernement comme louable, tant on sait que l’attente dans l’incertitude peut être difficile pour les demandeurs. Mais, outre l’annonce d’effectifs renforcés à l’Ofpra et à la CNDA, cette volonté de raccourcir les délais s’est surtout concrétisée dans la loi Collomb par la réduction drastique du temps imparti aux personnes migrantes pour effectuer les procédures.
« C’est mission impossible de faire sa demande dans les 90 jours », s’indigne Valérie. « Le temps que ces personnes se remettent du traumatisme qu’elles ont vécu, qu’elles se renseignent sur la marche à suivre et qu’elles parviennent à joindre le numéro mis en place par l’OFII, le délai est rapidement écoulé », souligne Sophie, bénévole de la Cimade. Or ce dépassement est lourd de conséquences puisque la demande est dès lors examinée en procédure accélérée. Ainsi, passé les 90 jours réglementaires, les réfugiés perdent leur droit à l’allocation pour demandeurs d’asile, la possibilité d’être hébergé et comparaissent devant un juge unique de la CNDA en cas de rejet de leur demande par l’Ofpra. « Les gens qui passent en procédure accélérée ne peuvent pas survivre sans le soutien d’une communauté et des associations qui leur distribuent de la nourriture. On fabrique de la violence sociale et du rejet, tout cela génère un climat anxiogène qui donne du grain à moudre à l’extrême droite », estiment les bénévoles de la Cimade. Pour elles, cette intention affichée de réduction des délais cache surtout une volonté d’« expulser plus vite ».
« Même en procédure accélérée, nous restons dans un traitement individualisé des demandes », nuance toutefois une source interne de l’Ofpra. Chaque demandeur d’asile est convoqué pour un entretien individuel, dans la langue choisie lors de son dépôt de demande. « Lors de l’entretien, l’officier de protection commence par expliquer la procédure, garantir la confidentialité des échanges, précise cette source. Puis il vérifie l’état civil de la personne avant d’en venir aux raisons de la demande d’asile, en s’appuyant sur le récit fourni dans le dossier de demande. Il pose des questions sur les circonstances et les raisons du départ, demande des précisions sur certains points de parcours si nécessaire… » Et pour les officiers de protection, qui conduisent en moyenne deux entretiens par jour, la confrontation peut être éprouvante, à la mesure de l’horreur vécue par le demandeur. « Le cœur de l’instruction d’un dossier de demande d’asile, c’est l’entretien. Nous sommes formés à analyser la crédibilité d’un récit, la sincérité de la personne », explique notre source de l’Ofpra. Certains récits sont entendus mille fois, formatés pour entrer dans les cases. « Nous pouvons nous retrouver face à des personnes qui ont véritablement besoin d’aide, mais qui ne relèvent pas de l’asile. Or nous sommes là pour rendre une décision qui respecte le cadre juridique. » À l’inverse, la nécessité d’accorder l’asile à une personne peut être une évidence, et la décision rendue rapidement. Mais, parfois, la complexité d’un dossier est telle que la vérification des informations peut demander plusieurs semaines de recherche. « Nos décisions doivent être motivées, en droit et en fait. Il y a donc un vrai travail de documentation et de vérification à mener. Et certains dossiers prennent plus de temps que d’autres. »
Trop de temps ? Début novembre, le gouvernement insistait à nouveau sur la nécessité de réduire les délais d’instruction des demandes d’asile, la loi Collomb n’ayant pas eu, pour l’heure, les effets escomptés. Le 6 novembre, le ministre de l’Intérieur annonçait donc un nouveau renforcement des moyens de l’Ofpra et de la CNDA, avec des recrutements respectifs de 200 et 59 postes. Une bonne nouvelle ? Certes, augmenter les effectifs dans un contexte d’augmentation des demandes est affaire de bon sens. Mais la diminution des temps d’instruction que le gouvernement appelle de ses vœux peut être plus ambiguë. L’exigence du nombre de décisions rendues par un officier chaque mois reste la même, peu importe le nombre de recrutements. Cette réduction des délais pourrait donc se traduire par une pression au rendement, au risque de ne plus prendre le temps du détail, de la recherche, de l’humain.
- Les prénoms ont été modifiés.