Retraites : L’exécutif se débat plus qu’il ne débat
Face à la mobilisation annoncée contre sa réforme des retraites, le gouvernement, dos au mur, a recours à de vieilles ficelles pour discréditer le mouvement social.
dans l’hebdo N° 1579 Acheter ce numéro
Un exécutif fébrile, une majorité inquiète. À quelques jours de l’échéance du 5 décembre et d’une mobilisation vraisemblablement massive et durable, Emmanuel Macron et son gouvernement sont sur le pied de guerre. Autant pour tenter d’enrayer les départs de feu catégoriels, de monter l’opinion contre les futurs grévistes, que pour défendre « les principes intangibles » et l’objectif de leur réforme des retraites. Sans grand succès pour l’instant. Mais également pour resserrer les rangs des troupes macroniennes désorientées par des annonces contradictoires sur les modalités de celle-ci.
Sur le front syndical, Édouard Philippe a enchaîné en début de semaine les entretiens avec les partenaires sociaux. Sans croire à un possible compromis avant le 5 décembre, ces rendez-vous de Matignon, très médiatisés, étaient essentiellement destinés à imposer dans l’opinion l’idée que le gouvernement était toujours à l’écoute des syndicats. Et qu’une grève dans cette phase de « concertation » ouverte depuis septembre et jusqu’à la mi-décembre ne se justifie pas. Si toutes les confédérations ont accepté de rencontrer le Premier ministre, qui a fait savoir qu’avec Jean-Paul Delevoye, le haut-commissaire aux Retraites, il ferait des « annonces » à la fin de l’année, plusieurs organisations syndicales avaient boycotté le 21 novembre les réunions ministérielles sectorielles organisées par ce dernier. C’est le cas de la CGT-Cheminots et de SUD-Rail, mais également des trois syndicats représentatifs de la RATP (Unsa, CGT, CFE-CGC). Cette stratégie de la chaise vide a aussitôt été exploitée par l’exécutif pour lancer sa bataille de l’opinion.
Plusieurs ministres, dont la porte-parole du gouvernement, Sibeth Ndiaye, ont ainsi reproché à « certaines organisations syndicales de ne même pas s’asseoir à la table des discussions » et de ne pas « jouer le jeu de la démocratie sociale ». En déplacement à Amiens, Emmanuel Macron a, lui, jugé « étrange » un appel à la grève contre une réforme « dont on ne connaît pas les termes exacts ». L’argument pourrait s’entendre si le gouvernement jouait la carte du dialogue social. Les ministres « n’écoutent pas donc on ne va pas cautionner cette communication gouvernementale », a déclaré le numéro un de la CGT-RATP, Bertrand Hammache, pour justifier le boycott des trois syndicats de la Régie.
Autre angle d’attaque gouvernemental : cette journée de grève interprofessionnelle est le fait de privilégiés accrochés à leurs intérêts catégoriels. La ficelle, lancée par Emmanuel Macron en personne, n’est pas nouvelle. Le 5 décembre, c’est « avant tout la mobilisation de salariés d’entreprises qui relèvent des régimes spéciaux. C’est donc une mobilisation contre la fin des régimes spéciaux », a estimé le chef de l’État lors d’une conférence de presse à Nesle (Somme), en rappelant son « engagement pris devant les Français » d’y mettre fin. Dans la foulée, Agnès Buzyn a fustigé des « revendications très corporatistes » ; Richard Ferrand, « une mobilisation pour conserver des inégalités que nous ne pouvons ni ne voulons plus assumer ».
Ce sont pourtant d’autres inégalités qui préoccupent les Français et trouvent un écho jusque dans la majorité. Le 17 novembre, dans une tribune publiée par Le Parisien, les députés Patrick Mignola, président du groupe MoDem, et Jean-Christophe Lagarde, président du groupe UDI-Agir, ainsi que le sénateur Hervé Marseille, président du groupe Union centriste, intiment au gouvernement de « convoquer une grande conférence sociale » afin de « négocier » un « rééquilibrage entre le prix du travail et celui du capital » et « dessiner, sans attendre le 5 décembre, le chemin vers un sursaut national ». « En dix ans, la rémunération du capital a augmenté 7 fois plus vite que la rémunération du travail », écrivent-ils en évoquant les distributions records de dividendes et les émoluments des patrons du CAC 40 qui « expliquent la révolte ».
Si leur demande a été balayée d’un revers de main, elle a contraint l’exécutif à resserrer les boulons de son camp. Mardi, Emmanuel Macron a réuni pour un déjeuner, qui n’était pas à l’agenda public de la présidence, le Premier ministre, quatre ministres et les responsables de la majorité pour aligner les discours. Dans la soirée, Édouard Philippe, Jean-Paul Delevoye et Agnès Buzyn devaient rencontrer à l’Assemblée nationale les députés LREM et MoDem, ainsi que les sénateurs LREM avec le même objectif. Enfin, l’ensemble du gouvernement est convoqué dimanche 1er décembre à Matignon pour un séminaire qui ressemble fort à une veillée d’armes.