Un message positif
L’épisode du « Allahu akbar », pas plus que celui de l’étoile jaune, nous dit quelque chose de la manifestation, et de sa belle réussite, mais il était assez prévisible qu’il démontrerait ce que les islamophobes voulaient démontrer…
dans l’hebdo N° 1577 Acheter ce numéro
Voilà bien le paradoxe de cette manifestation qui avait donné lieu dans les jours qui l’ont précédée à tant de polémiques et de dénigrement : elle fut, dimanche, la plus sereine et la plus paisible qui soit. Point de service d’ordre nerveux, pas de casseurs, pas de gaz lacrymogènes. On avait perdu l’habitude… Au sein du cortège, derrière la banderole de tête qui affichait un imposant « Stop à l’islamophobie », les mots d’ordre avaient visiblement été travaillés dans l’intention de rassurer ceux de nos concitoyens qui finissent par avoir la peur au ventre dès qu’ils aperçoivent une femme voilée à la porte d’une école. On entendait des « Laïcité, on t’aime, tu dois nous protéger », et on voyait surtout s’agiter de très nombreux drapeaux tricolores.
La polémique – car il en fallait bien ! – c’était donc avant, et ce fut aussi, hélas, après. Le Crif, qui, comme chacun sait, déteste le communautarisme, BHL, pour qui l’islamophobie relève de la mission historique, et la macronienne Nathalie Loiseau ont donc cherché et trouvé de quoi jeter le discrédit sur les quatorze mille manifestants, et de quoi nous faire perdre de vue l’essentiel. À les entendre, il s’est surtout passé deux événements dignes d’être relatés : la sénatrice Esther Benbassa apparaissant sur une photo où figurait aussi une gamine arborant une étoile jaune ; puis, plus tard et plus loin, une vidéo montrant Marwan Muhammad, l’ancien directeur du comité contre l’islamophobie, prononçant les mots « interdits », « Allahu akbar ». Du moins, c’est ainsi que les faits ont été rapportés, à des fins évidentes de polémique. Peu importe pour Mme Loiseau que la sénatrice EELV ne soit pour rien dans le voisinage de la gamine, elle tenait son mauvais procès.
Pour autant, il faut le dire, l’étoile jaune frappée du mot « muslim », n’est évidemment pas du meilleur effet. Le sort des musulmans n’a rien à voir avec celui des juifs dans la France de Vichy. Nous ne sommes pas en 1942. Si l’on veut vraiment noircir le trait, on peut à la rigueur penser que la stigmatisation dont sont victimes nos concitoyens musulmans nous rapproche dangereusement des années 1930… C’est de cela dont les vigilants devraient surtout s’inquiéter. Et c’est pour ne pas en arriver là qu’il fallait descendre dans la rue dimanche. Quant au « Allahu akbar » (« dieu est grand »), il a été soigneusement isolé de son contexte puisque l’orateur l’a prononcé, non au premier degré, mais pour regretter que les médias « fassent passer cette expression religieuse pour un cri de haine ». Il n’empêche ! Cette harangue, qui se voulait au mieux pédagogique, et au pire provocatrice, était malheureuse. Il y a bien longtemps que les mots et les signes de la sémiologie musulmane ont perdu leur sens originel. Si « Allahu akbar » n’est pas, en soi, un cri de haine, il se trouve qu’il a accompagné les attentats islamistes, et que nous étions dimanche à trois jours de l’anniversaire des massacres du 13 novembre 2015. Et nul ne peut ignorer que, depuis lors, ces deux mots sont tenus pour le marqueur supposément infaillible de la « radicalisation ». Cet épisode, pas plus que celui de l’étoile jaune, nous dit quelque chose de la manifestation, de sa belle réussite, et de son message positif, mais il était assez prévisible qu’il démontrerait ce que les islamophobes voulaient démontrer…
À cette explication de texte, il faudrait encore ajouter « islamophobie », qui continue de faire débat. Mais que peut, médiatiquement, un Olivier Le Cour Grandmaison (1) face à Caroline Fourest et consorts ? Le premier rappelle que le concept a été forgé par des anthropologues français du début du XXe siècle, comme Maurice Delafosse, les seconds affirment – pour le bien faire haïr – qu’il a été inventé par l’ancien président iranien Ahmadinejad. Je vous laisse deviner qui détient le savoir, et qui ignore ou fait mine d’ignorer ? La société de la communication préfère exciter les peurs qui sont vendeuses, commercialement, et hélas, aussi, électoralement, que chercher le vrai. C’est ce qui explique la peu glorieuse débandade des responsables de la gauche. Entre celui qui avait « football », celui qui trouvait dans l’appel un mot ambigu, ou cet autre, qui redoutait de croiser boulevard Magenta un sympathisant des Frères musulmans, les arguties n’ont pas manqué.
Mélenchon, qui était bien là (comme Clémentine Autain, Olivier Besancenot, David Cormand, Ian Brossat ou Philippe Martinez), a dit simplement ce qu’il fallait dire : ce qui comptait dimanche, « c’est la cause qui était servie ». Celle de nos concitoyens musulmans, discriminés et harcelés par une propagande oppressante. A-t-on jamais autant demandé l’identité des manifestants aux côtés desquels ont pourrait peut-être fouler le pavé, et leur degré de croyance, et leur bon usage des mots, et le sens de leur vêture ? Cette soudaine exigence de pureté est en vérité l’expression d’un soupçon qui est l’un des invariants de la littérature coloniale. Quant à ceux qui ratiocinent sur le mot « islamophobie », qu’ils lisent Renan. Ils verront que cette haine incontrôlée de l’islam vient de loin dans notre culture positiviste. Si loin et si profond, qu’il n’est pas étonnant qu’il en reste quelques traces.
(1) Lire d’urgence, de cet auteur, Ennemis mortels, La Découverte.
Une analyse au cordeau, et toujours pédagogique, des grandes questions internationales et politiques qui font l’actualité.
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