Annabelle Lounis, 43 ans, cheffe d’équipe à la SNCF

« Les effectifs continuent de fondre. Les gens ne vont pas bien. Il y a beaucoup de souffrance. »

Nadia Sweeny  • 4 décembre 2019 abonné·es
Annabelle Lounis, 43 ans, cheffe d’équipe à la SNCF
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Je suis arrivée à la SNCF en 1999 en tant qu’emploi-jeune… Merci Martine Aubry ! lance Annabelle dans un sourire qui cache mal sa lassitude. On était payés 1 500 francs par mois, ça fait quoi… 230 euros. » Son regard se fige. L’ombre de la réforme des retraites plane. « S’ils comptent la totalité de la carrière pour le calcul des pensions, alors qu’aujourd’hui le calcul se fait sur les six derniers mois, je vais perdre gros », soupire-t-elle. Puis elle reprend rapidement, comme pour éloigner cette perspective. « Un jour, j’ai été témoin d’un accident grave de voyageur. Un adolescent a sauté du train en marche. Il s’est emplafonné dans un pylône et il est mort. Nous, les emplois-jeunes, étions les premiers sur place, nous avons été obligés de nous en occuper, de couper le sac à dos sur ses épaules… Puis on nous a accusés de ne pas avoir déneigé le quai. Je me suis rebellée : ça n’avait rien à voir avec le quai ! Aussitôt, j’ai été envoyée en formation d’agent commercial. À l’époque, on était en plein programme d’humanisation des gares et des trains », se remémore-t-elle, nostalgique.

Depuis, Annabelle travaille à Persan-Beaumont, dans le Val-d’Oise. Elle a gravi quelques échelons et encadre aujourd’hui une équipe de cinq personnes. Ce sont eux qui vous accueillent, vous vendent des billets, vous renseignent… « À l’époque de l’humanisation, on était là pour dialoguer avec les gens et assurer une présence rassurante jusqu’au dernier train. Pour les femmes qui rentraient tard, c’était vraiment confortable. Mais aujourd’hui, c’est fini. » L’heure est désormais à la rentabilisation. À Persan, l’accueil en gare va fermer à 23 heures au lieu de 2 heures du matin – soit après l’arrivée du dernier train. La présence d’agents en début de nuit permettait un service aux usagers, mais aussi un service social : « On prenait souvent en charge des personnes sans abri ou des mineurs isolés étrangers, de plus en plus nombreux dans cette gare de fin de ligne. » De surcroît, ces heures de nuit représentaient une majoration de 300 à 400 euros par mois pour les employés, en plus de leur traitement de base mensuel de 1 700 euros. Une perte sèche, sans compensation. « J’adapte mon niveau de vie, je réduis au maximum mes courses la semaine où je n’ai pas mes trois enfants. »

La gare de Persan-Beaumont est en train de devenir un Pang, un « point d’arrêt non géré ». En d’autres termes, une gare sans humain avec une borne censée remplacer les agents. C’est déjà le cas de plusieurs gares des alentours. Quand la SNCF a commencé à changer de politique, elle a coupé net dans les effectifs. « Il a fallu dire à des gens de partir… Je me suis syndiquée à Force ouvrière. Les effectifs continuent de fondre. Les gens ne vont pas bien. Il y a beaucoup de souffrance. »

Alors, après la grande réforme du rail de l’année dernière, qui annonce la fin du statut de cheminot et permet l’ouverture à la concurrence, la réforme des retraites tombe comme un coup de massue. Annabelle est agent sédentaire. Elle peut partir à la retraite à partir de 57 ans et demi – il faut pour cela avoir effectué 27 ans de service –, mais pas à taux plein. Celui-ci n’est accessible qu’après 42 annuités, comme dans le régime général. Il lui reste donc 22 ans de service avant de toucher sa retraite à taux plein, soit un départ estimé à 65 ans.

« J’ai calculé que sur le régime actuel, avec mon salaire d’aujourd’hui, j’ai droit à 800 euros de retraite. Si je n’ai pas acheté un logement d’ici là, je ne sais pas comment je vais faire. Alors, quand j’entends qu’on est des privilégiés… je ne comprends pas. » Si la réforme impose un calcul de pension sur l’ensemble de sa carrière, le niveau de sa pension sera encore plus bas. « C’est le flou, ça me fait peur. Pour l’instant, je vis au jour le jour. J’ai du mal à me projeter. Si j’y pense trop, j’ai l’impression de me faire aspirer au fond d’une piscine et je ne suis pas sûre d’avoir la force de donner le coup de pied qui me ferait remonter. » Le 5, Anabelle sera dans la rue : « On ne se laissera pas faire ! »

Économie Travail
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