Aser : L’ONG qui dérange les ventes d’armes françaises
Membres d’Action Sécurité Éthique républicaines (Aser), qui milite pour que la France respecte le droit international en n’exportant pas d’armement vers les pays de la coalition en guerre au Yémen, Jean-Claude Alt et Benoît Muracciole reviennent sur leur action juridique.
dans l’hebdo N° 1582-1584 Acheter ce numéro
La convocation d’Action Sécurité Éthique républicaines (Aser) en octobre dernier par la Direction générale de la sécurité intérieure (DGSI) est le signe d’un État prétotalitaire, que dénonce François Sureau, avocat au Conseil d’État et à la Cour de cassation. Cette tentative d’intimidation a conduit Aser à contre-attaquer et à demander au procureur de la République de Paris la réalisation de plusieurs actes d’enquête susceptibles de conduire au constat de notre irresponsabilité pénale (1). Notre délit ? Une action juridique pour stopper les ventes d’armes du gouvernement que nous jugeons illégales et pour bloquer les chargements dans les ports du Havre et de Fos-sur-Mer sur des bateaux saoudiens.
Le vent se lève donc… au point qu’un élan de panique a poussé le pouvoir politique à demander notre audition par la DGSI. Avec l’entrée en vigueur, fin 2014, du traité sur le commerce des armes (TCA) des Nations unies, nous espérions voir ces pratiques changer, mais, une fois ce traité en place, une grande partie de la société civile, dont des ONG, a « oublié » de s’investir dans son application. Elle a laissé faire les États, dont les ventes dépassent (le calcul exact reste opaque) le chiffre annuel de 100 milliards de dollars. Quant aux entreprises d’armement, leur chiffre d’affaires frôle les 400 milliards par an. Ainsi, malgré la fin de la guerre froide, ce commerce a retrouvé, voire dépassé, le niveau atteint à l’époque de la confrontation Ouest-Est. En France, l’entrée en vigueur du TCA n’a rien changé ; par contre, les graves violations des droits humains dans le monde n’ont pas cessé.
C’est sur la base de ces constats qu’Aser a décidé d’aller devant le tribunal administratif de Paris en 2018, créant un précédent dans l’histoire de la Ve République. Jamais une ONG en France ne s’était attaquée à la légalité des transferts d’armes, qui dépendent du Premier ministre (2). Notre but est l’arrêt des ventes d’armement vers les pays de la coalition engagée dans la guerre au Yémen et la sensibilisation de la société sur les graves violations des droits fondamentaux qui y sont commis (3).
Devant les juges, Aser avance l’argument selon lequel le gouvernement français, dans les autorisations d’exportations, ne respecte pas l’article 6 du TCA, qui interdit les transferts d’armes si ces derniers violent les engagements internationaux de la France. Nous utilisons le cœur du TCA, qui est le respect des droits humains et du droit humanitaire. La responsabilité du gouvernement français en la matière atteint des sommets – crimes de guerre, voire crimes contre l’humanité –, au point que le dernier rapport d’experts de l’ONU rappelle à leurs obligations les pays engagés, dont la France, qui doivent interdire les transferts d’armes qui pourraient être utilisées dans ce conflit.
En mai 2018, notre avocat, Me Matteo Bonaglia, a présenté nos arguments devant le tribunal administratif, rejoint par l’Action des chrétiens pour l’abolition de la torture (Acat). La bonne surprise a été de voir voler en éclats la défense des autorités, fondée sur l’« acte de gouvernement », vieux reste d’une époque napoléonienne peu soucieuse des droits de l’homme et du citoyen. Mais la victoire a été entachée d’un recul de ces mêmes juges qui, sans doute épouvantés par la modernité de leur décision, ont statué que le TCA n’était pas applicable en droit français (4).
Cependant, une brèche était ouverte et nous sommes aujourd’hui devant le Conseil d’État. Nous partîmes seuls et par un prompt renfort (Acat, Action contre la faim, Médecins du monde, Salam4Yemen et Sherpa) nous nous vîmes six en arrivant au port… Notre démarche reste politique : il s’agit de faire appliquer les engagements internationaux de la France, qu’aucun gouvernement ne peut se permettre de violer au nom du peuple français, pour que justice soit faite au peuple yéménite.
(1) Sur le fondement des dispositions de l’article 77-2 du code de procédure pénale.
(2) Via la commission interministérielle pour l’étude des exportations de matériels de guerre (CIEEMG).
(3) Les députés Sébastien Nadot, dès 2018, puis Bastien Lachaud, Alexis Corbière et Nicolas Dupont-Aignan ont demandé une mission d’enquête parlementaire, toujours bloquée par les alliés du président de la République, dont Marielle de Sarnez, présidente de la commission des Affaires étrangères.
(4) Et ce en contradiction de l’article 55 de la Constitution et de l’article 46 du traité de Vienne.
Jean-Claude Alt Administrateur d’Aser, expert des droits humains
Benoît Muracciole Président d’Aser, auteur de Quelles frontières pour les armes ? (Éd. A. Pedone, 2016)
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