Féminisme : vous venez, les gars ?

L’engagement des hommes contre le sexisme demeure faible. Il est pourtant bénéfique pour la société et pour eux-mêmes.

Victor Le Boisselier  • 18 décembre 2019 abonné·es
Féminisme : vous venez, les gars ?
À la manifestation #NousToutes, le 23 novembre à Paris.
© Adrien Chacon

Le 23 novembre dernier, sur le parvis de l’opéra Garnier, à Paris, plusieurs visages masculins sont peinturlurés de violet. Nombre d’hommes participent à la marche #NousToutes contre les violences faites aux femmes. Laurent Metterie, réalisateur, recueille leurs témoignages, que Camille Froidevaux-Metterie relaiera ensuite sur son compte Twitter.

« Je pense que le moment est venu pour les hommes de prendre part au féminisme », affirme la professeure de sciences politiques à l’université de Reims (1). « Les combats les plus récents qui concernent le corps des femmes dans ses dimensions intimes, et notamment les violences sexuelles, obligent les hommes à s’exprimer sur ces sujets. » Les séquences tournées seront rassemblées dans le documentaire Les Mâles du siècle, dont la sortie est prévue en juin 2020. « Le but du film est de contribuer à une prise de conscience, c’est-à-dire d’accompagner ce moment que nous vivons en donnant à entendre des hommes qui évoquent ce que le féminisme a changé pour eux… ou pas. »

Le mot d’ordre revient sans cesse, un chouia provocateur : « Le féminisme n’est pas une affaire de bonnes femmes », mais un combat humaniste et social qui peut être porté par chacune et chacun.

Marion Georgel sourit : « Comment les hommes peuvent-ils se positionner ? » La -co-porte-parole d’Osez le féminisme ! (OLF !) connaît la question par cœur : « On nous le demande à chaque événement. » Calmement, elle déroule la réponse : « Déjà, être à l’écoute. Ensuite, se mettre en retrait et se positionner sans invisibiliser les femmes. Dans les associations, c’est venir en appui sur l’organisation d’événements, la logistique. Et puis, c’est intéressant d’avoir aussi des avis masculins. »

Même si la vague #MeToo a permis une sensibilisation massive, l’engagement masculin contre le sexisme reste faible. OLF ! compte 1 090 adhérentes pour 110 adhérents. « Depuis vingt ans, l’égalité des sexes a été portée comme une valeur fondamentale de la République. De fait, il y a une progression de l’adhésion à cette idée, explique Alban Jacquemart, sociologue et auteur de l’ouvrage Les Hommes dans les mouvements féministes. Socio-histoire d’un engagement improbable. Mais, concernant la participation aux collectifs féministes, il n’existe pas d’indicateur permettant de dire qu’il y a un engagement plus important de militants féministes hommes. » Il ajoute : « Pour les hommes, le féminisme n’est qu’une étape dans leurs trajectoires militantes, alors que, chez les femmes, c’est souvent l’engagement qui dure le plus longtemps. »

Pourtant, certains hommes ont fait du féminisme leur cheval de bataille. À 24 ans, Lucas Bolivard est un militant aguerri. Il y a cinq ans, il fondait le collectif contre le harcèlement de rue « Lille sans relou ». Un combat dans lequel il décide de s’engager après une série de déclics : « Une amie a failli se faire agresser au festival des Francofolies et, à part péter la gueule au mec, je ne savais pas comment réagir. Je ne voulais pas que d’autres hommes se retrouvent dans la même situation. » Depuis plusieurs mois, il œuvre en tant que coordinateur au sein de l’association Meufs, meufs, meufs, qui promeut des projets entrepris par des femmes. Il est le seul membre masculin du bureau.

« On se demande souvent quelle est ma place, en tant qu’homme, dans l’équipe de l’asso. La vraie question, c’est : comment faire pour à la fois s’effacer et être utile ? Et il n’y a aucune réponse parfaite. Je tends à réduire au maximum mes interventions. J’essaye de laisser le plus possible la parole et la place à ma co-coordinatrice. » En revanche, poursuit Lucas, « je prendrai la parole sur les sujets sur lesquels j’ai travaillé et pas elle ». Il s’interroge : « Si les hommes engagés dans ces mouvements sont tous remplacés par des femmes, est-ce que les hommes continueront à s’engager ? »

D’autres ont fait le choix de militer pour l’égalité des sexes en non-mixité masculine. À la fin des années 1970, alors que le combat pour l’avortement se termine et que la non-mixité féminine gagne de plus en plus les mouvements féministes, Pierre Colin participe à la création d’Ardecom, une association pour le développement de la contraception masculine : « Nous avons pris conscience du fait que, sur cette question, nous nous reposions sur les femmes. Il y avait une recherche d’égalité et surtout de responsabilité. »

Avec d’autres hommes, Pierre expérimente alors des moyens de contraception masculine, qu’il essaie aujourd’hui encore de diffuser le plus largement possible : « Nous ne nous mettons pas à la place des femmes pour les défendre. Nous menons un combat contre le machisme et la domination mâle. Nous sommes des mecs qui travaillons sur nous-mêmes et qui essayons de conscientiser les autres mecs pour leur dire : “Essaye de te remettre en question, tu vois pas que t’es un oppresseur et un -dominant ?” » Mais l’engagement peut également être plus informel : « Un exemple très concret, c’est de briser la culture sexiste dans son entourage ou au travail en refusant certaines blagues, par exemple. Quand on est une femme au milieu d’hommes et qu’un collègue dit : “Bon, ta blague, elle est pas top”_, c’est un vrai soutien »,_ explique Marion Georgel.

Croisé lors de la marche contre les violences faites aux femmes, Léo est venu de Rennes pour l’occasion. Lui aussi a décidé de lutter contre le sexisme dans un cercle informel. Tous les deux mois, ce jeune homme de 26 ans se réunit avec cinq ou six amis pendant trois jours afin de constituer « un groupe de travail » : « On lit des textes féministes, on prépare des ateliers pour d’autres hommes… On cherche à rompre avec notre masculinité toxique. Évidemment que les hommes ont un rôle à jouer étant donné que ce sont les agresseurs. »

Au-delà d’une société plus égalitaire, l’engagement masculin serait également bénéfique pour les hommes eux-mêmes, selon Camille Froidevaux-Metterie : « Le féminisme permet aux hommes de se débarrasser d’un certain nombre d’injonctions, de déconstruire un certain nombre de stéréotypes. » Un constat déjà observé par Pierre Colin lors de la fondation de -l’Ardecom : « Il y avait cette volonté de déconstruire la masculinité, la virilité. Et beaucoup d’hommes ont été touchés par notre parole sur la fabrication du mâle. »

(1) Autrice des ouvrages La Révolution du féminin (Gallimard, 2015) et Le Corps des femmes. La bataille de l’intime (Philosophie magazine éditeur, 2018).

Société
Publié dans le dossier
Féminismes : Les nouvelles voix
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