La bifurcation écologique et sociale
La source de l’aliénation est dans les rapports de production réels et non pas dans la propriété des moyens de production.
dans l’hebdo N° 1582-1584 Acheter ce numéro
L****a démonstration de l’impasse de la croissance verte est dernière nous. Ce constat semble conduire à un dilemme insurmontable : choisir entre décroissance massive du PIB par tête (entre 50 et 85 %) et destruction du vivant. Mais poser le problème en ces termes, c’est rester dans le cadre de la croissance économique. Définir une société désirable respectant les limites écologiques et en déduire de nouveaux rapports sociaux de production dépassent nos cadres de pensée habituels. Il n’y a pas de porte de sortie connue à l’avance et de feuille de route pour l’atteindre, ce qui ne veut pas dire qu’il n’y en aura pas dans le futur.
Lorsque Karl Marx construit le concept de « rapport social de production », il cherche à dévoiler les rapports de domination sociale derrière les rapports économiques présentés alors comme neutres. Selon Marx, les rapports de production du capitalisme sont des rapports de domination entre deux classes sociales, car l’une dispose des moyens de production et met en œuvre une transformation technologique incessante des modes de production en vue d’une augmentation de la productivité et des taux de profit. Mais l’accaparement d’une grande partie des richesses par une classe ne suffit pas à caractériser les rapports de production du capitalisme. Et cela, Marx le savait puisqu’il caractérisait le capitalisme comme le développement des forces productives par l’application « systématique et raisonnée de la science ». La recherche des gains de productivité est donc l’essence des rapports de production actuels, toujours obtenus par le développement technologique, la consommation énergétique et matérielle.
Il y a une interdépendance forte entre l’imaginaire productiviste et l’organisation productive concrète fondée sur la division hiérarchique entre les personnes qui travaillent et celles qui commandent le travail (capitalistes et/ou managers). Mais la marchandisation et le taux de profit, son corollaire, ne permettent pas en soi d’expliquer le productivisme puisqu’il est tout à fait possible d’imaginer également une production des services publics tournée vers la recherche des gains de productivité pour diminuer le nombre de fonctionnaires. Ainsi, le « non-marchand » est une condition nécessaire mais pas suffisante pour penser l’émancipation. On le constate : le service public repose de plus en plus sur un rapport de production hiérarchique et divisé. Les choix capitalistiques effectués par les politiques optent prioritairement pour le déploiement des technologies visant à réduire les effectifs, à la poursuite de la baisse des coûts, mais toujours plus énergivores et productrices de carbone. La source de l’aliénation est dans les rapports de production réels et non pas dans la forme juridique de la propriété des moyens de production.
La bifurcation écologique et sociale n’a pas de feuille de route, car elle demande de sortir des routes déjà tracées. Changer d’imaginaire ne se décrète pas. Ce sera le résultat des luttes de contestation des finalités sociales et surtout de la division des rapports de production.
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