Le crime d’écocide devant le Parlement
Le 12 décembre, une proposition de loi pénale sera débattue à l’Assemblée nationale. Elle vise à contrer la menace pesant sur l’habitabilité de notre planète en s’appuyant sur le cadre contraignant de ses limites.
dans l’hebdo N° 1580 Acheter ce numéro
Antonio Guterres, secrétaire général de l’ONU, a déclaré lors d’une conférence de presse tenue la veille de l’ouverture de la conférence des Nations unies sur le climat (COP 25) : « Nous devons mettre fin à notre guerre contre la nature et la science nous dit que nous pouvons le faire. » Mais faute d’accord international contraignant pour réguler les activités industrielles et, en particulier, abandonner l’usage des combustibles fossiles, le dérèglement climatique s’emballe et la biodiversité s’effondre, menaçant la paix et la sécurité humaine. Dans un rapport sur les trajectoires des émissions de gaz à effet de serre rendu public mardi 26 novembre, les experts du Programme des Nations unies pour l’environnement (Pnue) disent s’attendre à une hausse de près de 3,4 °C à 3,9 °C de la température du globe d’ici à la fin du siècle, « ce qui entraînera des impacts climatiques vastes et destructeurs ». Les experts en appellent donc à « des transformations sociétales et économiques majeures ».
En France, le dernier rapport sur l’état de l’environnement, publié par le ministère de la Transition écologique et solidaire en octobre, faisait l’aveu que la France avait dépassé six des neuf limites planétaires (processus et systèmes régulant la stabilité et la résilience du système terrestre), dont deux (concernant le changement climatique et l’érosion de la biodiversité) sont fondamentales. Le franchissement de ces limites conduit la planète vers un état auquel nul n’est préparé, mettant en danger toute la toile du vivant. Ne serait-il pas temps de reconnaître que notre système économique global constitue une menace pour l’habitabilité de la Terre ? Ne devrait-on pas questionner l’impunité dont bénéficient nos dirigeants politiques et économiques face à l’écocide en cours, la destruction de notre maison commune ?
C’est pourquoi les associations Nature Rights, Notre affaire à tous et Wild Legal appellent à un sursaut politique dépassant les intérêts partisans en prévision du vote en séance publique qui se tiendra le 12 décembre à l’Assemblée nationale. Ce jour-là sera débattue une proposition de loi pénale pour la reconnaissance du crime d’écocide déposée par le député Christophe Bouillon (PS). Ce dernier a accepté de retravailler son texte selon les conseils des trois associations, qui plaident depuis des années pour la reconnaissance de ce crime. Il présentera une définition de l’écocide qui s’appuie sur le cadre contraignant des limites planétaires : « Constitue un écocide toute action délibérée tendant à causer directement des dommages étendus, durables, irréversibles ou irréparables à un écosystème ou ayant un impact grave sur le changement climatique, l’érosion de la biodiversité, les cycles de l’azote et du phosphore et leurs apports à la biosphère et aux océans, l’usage des sols, la déplétion de la couche d’ozone, l’acidification des océans, la dispersion des aérosols atmosphériques, l’usage de l’eau douce ou la pollution chimique, commise en connaissance des conséquences qui allaient en résulter et qui ne pouvaient être ignorées. »
En effet, quel dirigeant économique ou politique peut aujourd’hui nier les conséquences sur le climat ou la biosphère de ses activités ? Et pourtant, le rapport Carbon Majors Report de 2017rappelle que depuis 1988, année où a été mis en place le Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (Giec), les entreprises censées à ce moment-là être au courant des effets de leurs activités sur l’environnement n’ont pas freiné leur développement et ont peu investi dans les énergies propres. Au contraire, elles ont commencé à investir dans des énergies non conventionnelles telles que les sables bitumineux ou le pétrole de schiste, ayant un fort impact sur l’environnement.
Nous semblons oublier que nos droits fondamentaux sont interdépendants du droit de la nature à exister. Il nous faut nous donner les moyens de sanctionner pénalement les atteintes les plus graves faites au vivant. La reconnaissance d’un crime contre notre maison commune ne doit pas être vécue comme une contrainte, mais comme le moyen de protéger nos droits et ceux des générations futures.
Valérie Cabanes Juriste, porte-parole d’End Ecocide on Earth.
Marie Toussaint Juriste, cofondatrice de Notre affaire à tous et députée européenne EELV.
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