Pasta, pizza et tutti quanti
Aujourd’hui réédité, _La Cuillère d’argent_ offre un tableau de la cuisine italienne. Un mélange savoureux de plats dans une histoire culturelle.
dans l’hebdo N° 1582-1584 Acheter ce numéro
Curieuse appellation que le foie de veau à la vénitienne, spécialité de la Cité des Doges, puisque la recette traditionnelle, appelant une tranche d’abat, des oignons émincés et un déglaçage au vin blanc, n’est pas à base de veau mais de foie de porc !
Sait-on que les fameux arancini sont nés en Sicile sous la domination arabe, confectionnés avec du riz parfumé au safran ? Pour qu’ils soient plus faciles à transporter, le riz était roulé en boules. Quand les tomates arrivent du Nouveau Monde, elles remplacent le safran, bien trop cher. Les arancini sont aujourd’hui l’un des emblèmes de la cuisine de rue sicilienne.
Variété de ratatouille, additionnée de câpres, de pignons de pin et de raisins secs, la caponata prend aussi ses origines en Sicile, composée d’ingrédients ensoleillés et respirant les influences. L’origine du terme viendrait de capone, la « grande rame », parce qu’il s’agissait d’un plat de marin, mais pourrait aussi venir du mot sicilien caupona, signifiant « taverne », désignant l’endroit où le plat était servi.
Non moins popu, la soupe de poissons à la livournaise a été concoctée par la diaspora juive, tout comme l’agneau de lait à la juive, cuisiné par des Séfarades établis à Rome au cours du XVIe siècle. De son côté, l’escalope milanaise (ou viennoise) daterait de l’époque où le maréchal Radetzky, au XIXe siècle, occupait la capitale lombarde. Amateur de cette chapelure, arrosée d’un jus de citron, ceinturant l’escalope de veau, il envoya la recette à la cour autrichienne, qui répandit sa popularité.
Sait-on enfin que la zuppa inglese, qui n’a rien d’anglais, a été imaginée en Toscane, baptisée à Sienne zuppa del Duca car servie en 1552 au duc de Correggio, mandaté par Côme de Médicis pour arbitrer une querelle entre Espagnols et Siennois ? Faut-il encore rappeler que la pizza margherita fut nommée par un pizzaïolo (Don Raffaele) invité par le roi italien Umberto Ier et sa femme, qui voulaient goûter la cuisine napolitaine, et choisissant ce nom en l’honneur de la reine Margherita ?
Ce sont là quelques anecdotes tirées de La Cuillère d’argent, parmi cent soixante-dix recettes, véritable bible de la cuisine populaire italienne, aujourd’hui rééditée. On y croise toute cette cuisine intemporelle, classique. Le toutim de la table de cette Italie des cent villes et des mille clochers qui se veut aussi l’Italie des cent cuisines et des mille recettes.
Parce que, tout comme la cuisine française (est-ce pour cette raison qu’on les oppose ?), il n’existe pas véritablement une mais des cuisines italiennes, nées dans l’Empire romain, éclatées, enrichies par les vagues successives des peuples migrants, des commerces entre l’Afrique et -l’Europe orientale, des flux et reflux d’épices saupoudrant les pleins paniers de produits régionaux pour former, avec les légumes du potager, l’arrivée de l’aubergine, de la tomate et du poivron, la structure du mangiare all’italiana. Toute une -gastronomie intimement liée à la terre, à l’histoire d’un pays de cocagne, entre faim et satiété, du nord au sud, où le bien manger est un sentiment, une affaire majeure, maternelle, une éducation aussi.
L’ouvrage, pratique et remarquablement rédigé, avec des recettes replacées dans leur contexte historique et culturel, a d’abord été publié en 1950 par la maison Editoriale Domus, en charge de la publication de la revue d’architecture et de design du même nom, dirigée par Gio Ponti. Le livre connaît alors un succès immédiat, avec plus de 500 000 exemplaires vendus en quelques mois. Une réimpression est lancée la même année.
Depuis, Editoriale Domus a démultiplié les tirages, actualisant chaque version, avant de connaître une traduction française, et même une dizaine de versions en différentes langues. C’est bien le moins quand on songe à la formule de l’écrivain Giuseppe Prezzolini : « Qu’est-ce que la gloire de Dante à côté de celle des spaghetti ? »
La Cuillère d’argent, traduit de l’anglais par Améline Néreaud, éd. Phaidon, 368 p., 142 ill. 49,95 euros.