Retraites : Les alternatives mises sous la table

Édouard Philippe s’entête à faire le procès en immobilisme des forces syndicales. Or de nombreuses propositions existent et sont crédibles.

Nadia Sweeny  • 18 décembre 2019 abonné·es
Retraites : Les alternatives mises sous la table
© Michel Stoupak / NurPhoto / AFP

Nous allons discuter, ma porte est grande ouverte et ma main est tendue », clame Édouard Philippe aux syndicats. Pourtant, les grandes lignes du système de retraite par points sont déjà ficelées, pour ne pas dire verrouillées. Les négociations, devenues de simples discussions, sont limitées à un cadre très serré alors que de nombreuses propositions pour améliorer le système actuel ont été faites.

Variables d’ajustement

L’âge de départ et le montant des pensions sont les deux grands domaines bousculés par le projet du gouvernement. Dans le système actuel, l’âge de départ à la retraite est légalement fixé à 62 ans. Pour obtenir un taux plein, il faut valider 43 annuités, soit 172 trimestres de cotisations, pour toute personne née après 1973 – le nombre de trimestres étant dégressif pour les personnes plus âgées, qui restent soumises aux lois précédentes. Dès 2022, avant la mise en place de son nouveau système, le gouvernement veut créer un âge pivot, soit un âge minimal de départ à taux plein, qui serait, en 2027, de 64 ans. Décision motivée par un déséquilibre budgétaire du système actuel, principalement dû à la baisse du nombre de fonctionnaires et donc de cotisations… décidée par le gouvernement lui-même. À partir de 2022, il sera toujours possible de partir à 62 ans, mais avec une décote à vie. Pour toucher un taux plein, il faudra non seulement avoir cotisé toutes ses annuités, mais, en plus, avoir atteint l’âge minimum progressif, augmentant de quatre mois par an. Une double peine, en quelque sorte. Comme le note le Réseau retraites, c’est le système le plus désavantageux qui s’applique : « Si vous avez 42 annuités à 62 ans, mais que l’âge du taux plein est de 63 ans, vous subirez une décote. Si vous voulez prendre votre retraite à 63 ans, mais n’avez que 41 annuités, vous subirez une décote aussi. »

Par ailleurs, dans son rapport de juillet dernier, Jean-Paul Delevoye, l’ex-haut-commissaire aux Retraites, prévoyait d’augmenter l’âge de départ en fonction de l’espérance de vie. Une décision qui serait dévolue à une future « gouvernance » dans laquelle -siégeraient les partenaires sociaux, sans qu’on connaisse ses modalités de fonctionnement. Le Premier ministre a cependant précisé qu’elle serait « sous contrôle du Parlement », et ses décisions soumises à la condition de l’équilibre des comptes. Or, comme le montrent les effets de la diminution du nombre de fonctionnaires sur l’équilibre budgétaire, celui-ci peut être bousculé par des leviers extérieurs, soumettant les partenaires sociaux de cette future « gouvernance » à des décisions drastiques.

L’intersyndicale qualifie cette proposition de « piège » et reste massivement opposée à un système par points qui, d’après elle, transforme les retraites en une variable d’ajustement budgétaire. « Chaque fois qu’on voit le Premier ministre, on lui rappelle qu’on est contre et on lui fait nos propositions pour améliorer le système actuel », témoigne Michel Beaugas, le monsieur retraites de Force ouvrière. Et des idées, il y en a !

Flexibilités

Au regard du taux d’inactivité des seniors – la moitié n’est plus en emploi au moment de prendre sa retraite –, les principaux syndicats mobilisés réclament déjà le retour de l’âge légal de départ à 60 ans. « On pourrait aussi instaurer une obligation d’autorisation administrative pour tout licenciement d’une personne au-dessus de 55 ans », imagine Michel Beaugas. Pour Henri Sterdyniak, économiste, « forcer les seniors à travailler est inutile, il vaut mieux employer les jeunes. On pourrait imaginer un dispositif, sur critère social, qui permette de laisser partir à la retraite, à taux plein, les personnes inactives de 58-60 ans, qui n’ont aucune chance d’être réemployées ». Une sorte de « flexibilité » – terme cher à la Macronie – qui contribuerait à réduire les inégalités produites par le système de trimestres. Aujourd’hui, il faut 150 heures au Smic pour valider un trimestre, ce qui pénalise les parcours hachés. Or, non seulement « on peut créer des intermédiaires comme des demi–trimestres ou des parts d’année », renchérit Henri Sterdyniak, mais il serait possible, comme le propose Force ouvrière, de prendre en compte l’intégralité des périodes chômées, indemnisées ou non, dans le calcul des trimestres.

Pour pallier les inégalités subies à la liquidation de la pension, notamment pour les temps partiels subis (liquidation qui valide leurs trimestres mais basés sur des petits salaires), FO propose de faire surcotiser les employeurs pour chaque temps partiel et CDD court, afin de « parvenir à un niveau de cotisations équivalent à celui calculé sur un contrat à temps plein » et d’« assurer une meilleure prise en compte des ruptures d’activité », peut-on lire dans les revendications du syndicat. L’objectif est de lutter contre la précarisation du monde du travail et l’augmentation des contrats courts, et non de la considérer comme une réalité à encourager. Ce que le gouvernement semble faire en proposant, comme unique réponse aux inégalités du système actuel, un système par points qui prendrait en compte chaque heure travaillée pour accumuler lesdits points.

Or ce calcul va impacter négativement le montant des pensions : « La contrepartie de dire “toute heure gagnée va compter pour la retraite”, c’est aussi de dire que “toute heure perdue va compter”, prévient Henri Sterdyniak_. Aujourd’hui, on est dans un système qui efface les mauvaises années ; ce qu’on nous propose, c’est de les inclure. »_En effet, dans le système actuel, les pensions du privé sont égales à 50 % du salaire annuel moyen des 25 meilleures années.

Dans le public, c’est 75 % des 6 derniers mois – soit, théoriquement, le plus haut niveau atteint. Le passage aux points implique un calcul des pensions sur -l’ensemble de la carrière, incluant les années les moins fastes, réduisant donc le montant du salaire moyen annuel et, par conséquent, celui des pensions.

Valeur du point

S’ajoute à cela la volatilité de la valeur du point. Déterminée par les partenaires sociaux sous le contrôle du Parlement, elle n’est pas garantie. L’exemple de la complémentaire des cadres Agirc-Arrco, qui fonctionne déjà sur un système par points avec une gouvernance formée de « partenaires sociaux », est éloquent : depuis 2015, la valeur du point a baissé par désindexation à l’inflation « pour des raisons budgétaires », se défend Laurent Berger, secrétaire général de la CFDT, qui avait lui-même proposé cette désindexation. Résultat : l’inflation augmente plus vite que la valeur du point, le pouvoir d’achat baisse.

Le Premier ministre clame qu’« il y aura dans la loi une règle d’or pour que la valeur des points acquis ne puisse pas baisser ». Mais l’important, rétorquent les syndicats, n’est pas tant la valeur monétaire que celle du taux de remplacement, soit ce que la pension représente par rapport au salaire. « Le Premier ministre a déjà annoncé que le point serait indexé sur l’augmentation des salaires et pas sur l’inflation, ce qui est franchement mieux, concède Michel Beaugas. Cela dit, quid de la valeur d’achat du point ? »

L’imprévisibilité de cette valeur rassemble les syndicats contre ce système, dont l’équilibre financier va principalement se jouer sur la recherche d’une baisse des dépenses, alors que le gouvernement refuse de discuter d’une hausse des cotisations. Pourtant, « au regard de l’évolution démographique, il va falloir accepter de les augmenter », estime Henri Sterdyniak.

La France insoumise, par exemple, propose de soumettre à cotisation tous les éléments de rémunération, revenus financiers et dividendes inclus. Les syndicats mettent aussi sur la table le renforcement de la lutte contre la fraude sociale – non-paiement par les entreprises de leurs cotisations –, estimée en 2012 à 21 milliards d’euros par la Cour des comptes, couvrant largement le pire déficit annoncé par le gouvernement. Et ils suggèrent aussi d’imposer l’obligation d’une égalité salariale femmes-hommes, qui augmenterait les cotisations tout en réduisant les inégalités dans la vie active, mais aussi au moment de la retraite…

« Le régime général est déjà universel, clame Michel Beaugas, il concerne 95 % des salarié·es. Ce que veut le gouvernement, c’est un régime unique et ce n’est pas acceptable ! » Si Force ouvrière et la CGT prônent, chacune avec ses revendications, le maintien des grands régimes spéciaux, elles admettent la nécessité de les lisser autour d’un socle commun de droits : âge, durée, taux de remplacement, droits conjugaux et familiaux, égalité femmes-hommes, pénibilité, etc., dont les disparités créent des inégalités. « Un lissage, certes, lance Michel Beaugas, mais vers le haut ! »

Travail Économie
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