Un humour dingue
Dans un tourbillonnant seule-en-scène, Marie-Magdeleine incarne plusieurs personnages bipolaires avec délicatesse.
dans l’hebdo N° 1582-1584 Acheter ce numéro
Une clope invisible à la main, se parlant à elle-même avec un drôle d’accent où le brut côtoie le maniéré, Marie-Magdeleine ouvre son seule-en-scène dans la peau de Sophie, la directrice du G.R.A.I.N. ou « Groupe de réhabilitation après un internement ou n’importe ». Elle attend, monologue-t-elle, une comédienne qui doit animer un atelier de théâtre pour les adhérents de la structure, une association pour « usagers bipolaires ». Mais autre chose la tracasse : il faut se préparer pour l’enterrement de Caroline, qui malgré le soutien du groupe a décidé de sauter par la fenêtre du dernier étage…
Dans G.R.A.I.N. Histoire de fous, Marie-Magdeleine n’hésite pas à mettre le tragique au cœur de la comédie. À moins que ce ne soit l’inverse. Une heure quarante durant, cette pièce balaie toutes les normes, aussi bien en termes de registre que de santé mentale.
En matière de « solo épique et collégial sans autre décor qu’une chaise et l’imaginaire du spectateur », Marie-Magdeleine s’est forgé une belle expérience au sein de Mmm… Fondée près de Bordeaux avec Julien Marot, son coauteur et metteur en scène, cette compagnie a réalisé en 2012 un premier spectacle qui parcourt encore aujourd’hui les routes : La famille vient en mangeant. Parents, frères et sœurs, grand-mère… Au total, c’est huit personnages qu’y incarne l’artiste, championne en mimiques et en accents de partout. Elle réitère l’exploit avec brio dans G.R.A.I.N. Histoire de fous, dont les protagonistes forment, eux aussi, une sorte de foyer. Une petite communauté en marge de la société mais non dénuée d’humour, ni d’amour.
Dans le corps de la comédienne, à travers sa voix, les histoires des malades et des encadrants se croisent d’une façon épique et volontiers absurde. Tous sous Viprex – un médicament en cours de test, que Jérémy suspecte d’être à l’origine du suicide de Caroline et de la bizarrerie de tous les autres –, les adhérents laissent libre cours à leurs particularités. Patrick, par exemple, après avoir arrêté son traitement, tombe amoureux d’une femme sans doute imaginaire. Terrorisée par tout ce qui lui arrive, Laurence compose une chanson d’adieu à Caroline façon comédie musicale, tandis que Christian débarque pour la cérémonie en costume de Batman…
Tout est dingue dans la pièce de Marie-Magdeleine, mais toujours tendre, jamais caricatural. Très documentée, construite à partir d’une immersion en milieu hospitalier et d’entretiens, elle questionne l’air de rien la santé de notre société. Elle invite à examiner son « grain ».
G.R.A.I.N. Histoire de fous, Marie-Magdeleine, Manufacture des Abbesses, Paris XVIIIe, jusqu’au 31 décembre, 01 42 33 42 03, www.manufacturedesabbesses.com