En attendant la gauche
Le sociologue engagé Pierre Cours-Salies propose une riche réflexion sur un demi-siècle de combat politique.
dans l’hebdo N° 1587 Acheter ce numéro
Si le titre n’avait pas été pris par un auteur auquel il ne peut disputer l’antériorité, Pierre Cours-Salies aurait pu appeler son livre « Bilan et perspectives ». Le sociologue engagé, proche du mouvement Ensemble ! et bien connu des lecteurs de Politis, propose ici un ouvrage ambitieux qui s’efforce de dégager l’unité des luttes sociales et politiques en France depuis 1968 et jusqu’aux gilets jaunes. Paru quelques semaines trop tôt pour intégrer l’actuel conflit, le livre de Cours-Salies n’en est pas moins d’une brûlante actualité.
Tout part de Mai 68, dont l’auteur déroule le fil avec minutie, tant du point de vue événementiel que des débats qui ont traversé la gauche et l’extrême gauche. Après une grève générale à la puissance inégalée, le mouvement a trébuché sur la dernière marche, celle du pouvoir. L’auteur met en évidence la responsabilité historique du PCF, dont l’hostilité résulte moins, à l’en croire, d’un a priori contre-révolutionnaire que d’un profond désarroi, que Georges Séguy résumera crûment en 2008 : « Que s’est-il passé au PC ? Rien. » Mais le PCF a-t-il seulement « craint de faire un pas hors des institutions » ou ne l’a-t-il pas voulu parce que, deux mois avant l’entrée des chars dans Prague, il se situait résolument du côté du statu quo ?
Cours-Salies n’épargne pas non plus la nébuleuse gauchiste et souligne l’influence de gourous comme Herbert Marcuse qui prônaient d’abord la libération des individus. L’auteur montre surtout que 1968 a été un tournant à partir duquel « la présence des échéances électorales devient plus pesante ». C’est une autre époque qui s’ouvre. La fin d’« élections piège à cons » et d’une certaine extrême gauche. C’est le temps de l’Union de la gauche et de la marche vers la victoire de Mitterrand en 1981 lorsque, selon le mot du nouveau président, « la majorité électorale rejoint la majorité sociale ».
Mais la gauche va bientôt être confrontée à d’autres épreuves qu’elle n’a pas su ou voulu surmonter : la prééminence idéologique de l’Europe libérale et, plus encore, la transformation du travail. Le paradoxe, c’est qu’une gauche avait précocement pensé ces évolutions, notamment avec André Gorz, mais sans effets sur la sphère politique. Dans un encart consacré à Pierre Naville, on trouve cette citation de la philosophe Simone Weil (1909-1943) qui semble déjà nous parler d’ubérisation : « Nul n’accepterait d’être esclave deux heures ; l’esclavage, pour être accepté, doit durer assez chaque jour pour briser quelque chose dans l’homme. »
Dans la dernière partie de son livre, Cours-Salies analyse avec justesse le mouvement des gilets jaunes, « ceux qui ne peuvent pas faire grève ». À l’heure des perspectives, il retrouve les élans du romantisme révolutionnaire : « “À la prochaine” [c’est le titre de son livre] désigne […], dit-il_, une éventualité sans date, et un espoir. »_ Mais une « éventualité » qui est dictée par des impératifs sociaux et écologiques qui n’attendent pas.
À la prochaine… De Mai 68 aux gilets jaunes Pierre Cours-Salies, Syllepse, 438 pages, 25 euros.