Le système universel des retraites ou la promesse d’une précarité en partage

Pour l’avocat Vincent Brengarth, l’universalisation proposée n’a rien d’un progrès. Elle ne promet ni une plus grande égalité, ni une amélioration du système par réparation.

Vincent Brengarth  • 3 janvier 2020
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Le système universel des retraites ou la promesse d’une précarité en partage
© Photo : ludovic MARIN / AFP

En octobre 2019, François Fillon déclarait sans se départir de son sérieux : « Je vais être un peu prétentieux mais quand j’ai fait la réforme des retraites, j’ai mis 2 millions et demi de personnes dans la rue. » C’est également l’ancien Premier ministre qui déclarait en 2016, avec le mérite de la franchise et au sujet de la retraite par points, que cette dernière « permet une chose qu’aucun homme politique n’avoue : ça permet de baisser chaque année la valeur des points, et donc de diminuer le niveau des pensions ». L’autosatisfaction teintée de cynisme du propos trahit à n’en pas douter la profonde scission qui se renforce entre la population et sa classe dirigeante. Cette rupture est d’autant plus regrettable lorsqu’elle avance sous l’apparence d’une justice sociale, pour en réalité ne faire que renforcer des logiques tendant à la limitation des dépenses de retraite. Rappelons que, derrière le système à points au cœur de la réforme, se trouve l’idée théoriquement opportune que chaque euro cotisé devrait donner les mêmes droits à tous.

Néanmoins, ce projet atteint-il l’égalité recherchée ? Quel projet de société se cache derrière cette volonté d’unification faisant abstraction des spécificités ayant prévalu dans la mise en place des régimes spéciaux ?

Derrière l’actuel projet de réforme des retraites, qui suit notamment celles de 1993, 2003, 2010 et 2014, la même idée se tisse : celle de déplacer le curseur de la responsabilité du pouvoir exécutif dans les dépenses publiques vers celle du contribuable. Les paramètres sont également réunis pour que, progressivement, la retraite par répartition s’efface au profit d’une retraite par capitalisation qui avantagera mécaniquement les ménages les plus aisés, ainsi que les entreprises privées qui offrent les services financiers adéquats.

Une unification aux antipodes de l’égalité

Dans son livre de campagne Révolution, Emmanuel Macron critiquait franchement la gestion peu claire et peu didactique du projet de réforme des retraites par le gouvernement Fillon en promettant de faire mieux. Force est pourtant de constater que celui qui est présenté aujourd’hui semble une fois de plus refléter l’affichage des réformateurs à agir dans ce qu’ils estiment être le sens du bien commun, sans être toutefois eux-mêmes valeurs d’exemples si l’on se réfère aux affaires régulièrement soulevées par nos médias. D’ailleurs, ceux-ci réussissent même le tour de force de présenter les bénéficiaires des 42 régimes spéciaux comme une caste de privilégiés, au prix d’une inversion des rôles qui, dans d’autres circonstances, pourrait prêter à rire si les enjeux n’étaient pas aussi cruciaux.

Parmi ces « privilégiés » qui représentent une part infinitésimale des cotisants, les danseurs de l’opéra de Paris, que l’on voudrait voir danser jusqu’à 64 ans en dépit des contraintes physiques imposés par leur profession ; les enseignants dont la retraite est aujourd’hui calculée sur la base des six derniers mois, mais dont la rémunération pendant la vie active est plutôt modérée. Parallèlement, le Gouvernement n’entend pas toucher au régime dérogatoire des policiers, plus que jamais mis à contribution dans le cadre de la répression des mouvements sociaux. Outre le fait qu’elle parait profondément incohérente et aux antipodes de l’égalité, l’unification affichée des retraites repose ainsi sur l’inégalité flagrante d’être à plusieurs vitesses, et ce pour ne citer que le cas du ministère de l’intérieur.

Pour les avocats dont je suis, il n’est même pas question de mettre un terme à un « régime spécial », mais de briser un régime qui a été voulu et pensé comme autonome, géré par la Caisse Nationale des Barreaux Français. Il s’agirait ainsi de remettre en cause un système autonome et ses règles internes de fonctionnement solidaires, en imposant une augmentation des cotisations de 14% à 28% pour une pension moindre. Dans ces conditions, il est une gageure de voir l’intérêt d’un tel changement. À cela il faut encore ajouter que, contrairement aux idées reçues, la profession d’avocat cache des disparités importantes.

Les infirmières, les kinés, les agents de métro ne sont pas en reste.

Un véritable projet de société

Si encore l’universalisation proposée était la promesse d’une plus grande égalité et d’une amélioration du système par réparation, alors elle serait évidemment un progrès. Toutefois, le nivellement par le bas ne peut en être un. Il l’est d’autant moins lorsque l’objectif est d’intensifier la réduction des coûts – en offrant notamment un instrument dans la définition de la valeur du point – tout en maintenant la pression fiscale directe, et indirecte comme le prix des carburants qui affecte de nombreux travailleurs. Par ailleurs, quel sera l’effort consenti par la haute fonction publique, ainsi que par les multiples organismes des pouvoirs exécutifs et législatifs, pour démontrer concrètement leur solidarité envers le projet ?

Une telle réforme ne se limite pas à des aspects chiffrés mais concerne un véritable projet de société, et ce que nous voulons définir comme valeurs structurantes pour l’avenir de notre société. Or, le juriste Alain Supiot a bien montré que « la réalisation efficace d’objectifs mesurables plutôt que l’obéissance à des lois justes » (La Gouvernance par les nombres) est intimement liée à notre malaise civilisationnel. Dans ce cadre, il est temps de penser à une société égalitaire qui offre les capacités de s’épanouir, sans ériger systématiquement en dogme les manœuvres financières.

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