Les 1001 manières de travailler plus longtemps

L’âge pivot est au cœur des tractations du gouvernement avec la CFDT. Des aménagements sont en discussion. Décryptage.

Erwan Manac'h  • 7 janvier 2020 abonné·es
Les 1001 manières de travailler plus longtemps
© Un arrêt de bus à Paris, alors que la grève des transports en est à sa sixième semaine.PAULO AMORIM/NurPhoto/AFP

Les esprits se concentrent sur l’aspect le plus impopulaire, et sans doute le plus facilement perceptible, de la vaste et nébuleuse réforme du système des retraites : le recul de 62 à 64 ans de l’âge de départ en retraite à taux plein. Cette mesure d’économie imposée pour inciter les Français·es à travailler plus longtemps a mis la CFDT et ses alliés réformistes (Unsa et CFTC) dos au mur, car ils sont bien incapables de défendre sur le terrain une réforme à laquelle ils sont, dans ses principes, favorables. D’autant plus que cet âge pivot est appelé à reculer automatiquement avec l’espérance de vie : 65,4 ans pour la génération née en 1980, voire plus de 66 ans pour celle née après 1990, selon les pistes du rapport Delevoye.

Plusieurs options sont sur la table pour sauver les apparences tout en s’assurant que nous travaillerons in fine plus longtemps. L’une d’elles, suggérée par Richard Ferrand, président de l’Assemblée nationale, aboutirait à ce que le gouvernement calque sa politique sur la bévue de Sibeth Ndiaye, porte-parole du gouvernement, le 12 décembre sur France Inter. La secrétaire d’État affirmait par erreur que les décotes prévues dans le futur système seraient temporaires. Une fois atteint l’âge de 64 ans, elles seraient effacées. Ses plates excuses sur les réseaux sociaux n’auront pas permis d’étouffer le tollé. Et si l’idée revient aujourd’hui, c’est probablement une nouvelle fois par mégarde. Des malus temporaires existent, certes, dans le fonctionnement actuel du régime complémentaire des salariés du privé, l’Agirc-Arrco, mais portée au régime général, une telle mesure ne dégagerait pas assez d’économies.

Le gouvernement semble surtout déterminé à temporiser en laissant, officiellement, la main aux partenaires sociaux. C’est la porte que Laurent Berger, secrétaire général de la CFDT, a ouverte en proposant, le 5 janvier, une conférence de financement qui laisse aux syndicats le loisir de trouver d’autres solutions qu’un recul de l’âge de départ en retraite. Applaudissements du côté gouvernemental, où la stratégie avait déjà été esquissée dès le discours d’Édouard Philippe le 11 décembre. Les représentants des salariés et du patronat devaient en effet être conviés pour « définir le bon système de bonus-malus » d’ici à 2022. Une négociation et une gouvernance « paritaire » du régime, placées « sous la supervision du Parlement », qui risquent d’être finalement bien corsetées. Celle imposée en 2018 sur l’assurance-chômage s’était soldée, après l’échec programmé des négociations et la reprise en main par le gouvernement, par un durcissement sans précédent des règles d’indemnisation. Potion amère que les syndicats de toutes obédiences mettront longtemps à digérer.

Pour que cette négociation soit sincère, les syndicats doivent pouvoir agir sur tous les leviers du régime, y compris une augmentation des cotisations. Patronat, pensionnaires de Bercy et secrétaire d’État aux retraites y sont farouchement opposés, et Édouard Philippe l’a martelé le 11 décembre : « La seule solution est de travailler plus longtemps. »

En substance, l’issue pourrait donc être, non pas de supprimer l’âge pivot, mais de l’individualiser : chaque personne aurait le sien, en fonction notamment de la pénibilité de son travail et de la durée de sa carrière. Un moyen de gommer la principale injustice de l’âge pivot, selon la CFDT : quelqu’un qui a commencé sa carrière à 17 ans doit en effet travailler pendant quarante-sept ans pour atteindre l’âge pivot de 64 ans.

Problème, cet âge d’équilibre individuel pourrait rapidement grimper à plus de 70 ans pour celles et ceux qui ont fait de longues études et, par conséquent, commencé à travailler tardivement. Difficile à faire passer pour un progrès. Selon Les Échos, le gouvernement tablait, à l’heure où nous bouclions ces lignes, sur une version timorée de cet âge individualisé. Des dérogations distillées au compte-gouttes permettraient aux métiers pénibles et aux carrières longues de partir à 60 ans, les autres restant, dès 2027, sur un âge de départ à taux plein à 64 ans. La CFDT, insatisfaite, demeure pour l’heure dans la mobilisation.

Économie Travail
Temps de lecture : 4 minutes

Pour aller plus loin…

Le « travailleur idéal » bosse tout le temps
Travail 18 décembre 2024 abonné·es

Le « travailleur idéal » bosse tout le temps

Autonomie, performance et excellence : les cadres sont la catégorie de salariés qui travaille le plus. Face à l’injonction d’être flexibles, le sens qu’ils trouvent dans leur emploi et leur relation au temps libéré se dégradent fortement.
Par Pierre Jequier-Zalc
La boulangerie Louboublil et ses « 200 jours de repos par an »
Reportage 18 décembre 2024 abonné·es

La boulangerie Louboublil et ses « 200 jours de repos par an »

Avec une semaine de travail de 4 jours, 10 semaines de congés payés, des salaires décents et une organisation sans hiérarchie, la boulangerie Louboulbil révolutionne le travail et le temps libre. Cette coopérative anarchiste du Tarn-et-Garonne montre qu’un autre modèle est possible.
Par Thomas Lefèvre
2023, funeste année record pour les morts au travail
Travail 16 décembre 2024 abonné·es

2023, funeste année record pour les morts au travail

L’Assurance maladie vient de publier son rapport annuel sur la sinistralité au travail. Avec 759 décès suite à un accident du travail, l’année 2023 confirme la tendance à la hausse déjà constatée l’an dernier.
Par Pierre Jequier-Zalc
Malgré la censure du gouvernement, une grève de la fonction publique fortement suivie
Social 5 décembre 2024 abonné·es

Malgré la censure du gouvernement, une grève de la fonction publique fortement suivie

Selon le gouvernement, plus de 18 % des agents de la fonction publique d’État étaient en grève à la mi-journée, ce jeudi. Un taux monté à 40 % chez les enseignants du premier degré, 65 % selon la FSU.
Par Pierre Jequier-Zalc