« Les Siffleurs », de Corneliu Porumboiu : L’île au trésor

Au sein du riche cinéma roumain, Corneliu Porumboiu est le réalisateur le plus original. Révélé avec son premier long métrage, 12 h 08 à l’est de Bucarest (2006), qui se livrait à une relecture ironique de la révolution roumaine, il a signé deux documentaires dont le football est moins le sujet central qu’un prétexte à disserter sur la société roumaine. Son style s’est ensuite affirmé avec Le Trésor (2015), fable à l’humour pince-sans-rire.

Les Siffleurs est un film de genre qui procure une grande jubilation. Dont voici les ingrédients de base : Cristi (Vlad Ivanov), un flic corrompu, taiseux et sans illusions, tombant éperdument amoureux ; Gilda (Catrinel Marlon), une femme fatale ; Magda (Rodica Lazar), une commissaire de police dominant tous les hommes ; Paco (Agusti Villaronga), un chef de la mafia aux allures d’intello… Tous se retrouvent embringués dans une histoire de recherche de butin qui passe par Bucarest puis par l’île de Gomera, aux Canaries. Cristi y est entraîné par Gilda, où il doit apprendre la langue sifflée ancestrale, le silbo, qui lui servira de langage codé pour libérer un malfrat emprisonné et récupérer l’argent.

Ah ! Comme le cinéaste utilise plaisamment les attributs du cinéma de genre tout en les détournant avec délice ! À l’instar de son personnage principal, il mène un double jeu, entre le polar authentique et la comédie. Il manifeste aussi son amour sans réserve pour le cinéma. Corneliu Porumboiu en fournit moult signes. Un réalisateur en repérages accueilli par des truands comme il se doit ; Cristi et Magda se donnant secrètement rendez-vous à la Cinémathèque, où est projeté La Prisonnière du désert ; la cache du pactole se trouvant quelque part dans un studio de cinéma abandonné…

Ce n’est pas tout. Le cinéaste utilise la musique comme agent d’émotion et de distanciation. En particulier avec l’air archi célèbre de La Barcarolle, de Jacques Offenbach, que passe en boucle l’étrange réceptionniste d’un hôtel afin, dit-il, d’« éduquer » les clients. Corneliu Porumboiu réussit aussi ce prodige d’accoler Carmina Burana, de Carl Orff, au Beau Danube bleu, de Johann Strauss, exactement à l’image du film : c’est la rencontre du cinéma d’action et du ciné-champagne.

C’est aussi dans un sourire, et l’air de rien, que Corneliu Porumboiu évoque la Roumanie d’aujourd’hui. Les flics sont retournés vite fait contre la promesse de grosses sommes. Les micros cachés, les caméras de surveillance et les yeux espions sont partout pour épier l’adversaire. Tandis que le trafic de drogue contrôlé par la mafia semble prospérer à grande envergure. À l’inverse – et sans vouloir interpréter à outrance –, on entend la mère de Cristi, chez qui son fils cache son argent sale, lui dire que son père, haut responsable communiste avant la chute du Mur, refusait tous les pots-de-vin…

Heureusement, dans ce monde de brutes, la poésie est encore possible. Le silbo, utilisé autrement que pour communiquer entre gangsters, peut devenir un langage d’amour. Dans Les Siffleurs, les détournements ont décidément du bon.

Les Siffleurs, Corneliu Porumboiu, 1 h 38.