L’obstination au pouvoir
Quitte à multiplier les cadeaux qui font perdre à son projet toute cohérence, le gouvernement maintient fièrement ses apparences. Une posture dangereuse.
dans l’hebdo N° 1585 Acheter ce numéro
Quoi qu’il en coûte, Emmanuel Macron s’accroche à sa réforme des retraites. Depuis près d’un an que son projet de système par points se dessine, dans un climat social particulièrement tendu, des voix s’élèvent pourtant de tous bords pour l’avertir sur le risque d’embrasement qu’il encourt. Il est le seul à avoir osé s’en prendre, d’un même geste, à toutes les catégories professionnelles – fonctionnaires, salariés du privé, indépendants et régimes spéciaux – et à toutes les générations. Il n’a pas non plus écouté les seuls syndicats de salariés favorables à sa réforme (CFDT, Unsa, CFTC), qui le priaient de ne pas conduire de front une refonte du système et des mesures d’économies immédiates, ce qui les plaçait, eux, dans l’incapacité de défendre la réforme. Emmanuel Macron tient l’obstination comme unique boussole politique.
La cacophonie et les raideurs de ses ministres témoignent en revanche d’un climat de grande improvisation au sein du pouvoir. Courageux, mais pas téméraire, le chef de l’État a confié à Édouard Philippe et à sa ministre du Travail, Muriel Pénicaud, la tâche de défendre son projet et de négocier le ralliement des syndicats « réformistes ». Le pari du passage en force est en effet périlleux pour le gouvernement, face à une mobilisation de grande ampleur à la longévité inédite, qui reste, malgré la puissance des vents contraires, légitime aux yeux des Français.
Sans fendre l’armure, le pouvoir a certes déjà cédé au mouvement social une garantie importante – la valeur du point sera indexée sur les salaires. Mais cela reste très insuffisant pour restaurer la confiance. Alors, le gouvernement tente de se donner un peu d’air et espère éviter la coagulation des colères, en multipliant les cadeaux. Policiers, gendarmes, pilotes de ligne… Toutes les professions capables d’entraîner un durcissement du mouvement obtiennent leur promesse. L’exécutif s’achète ainsi du temps et une paix bien fragile sur ces fronts secondaires. Mais la pression reste maximale sur le gouvernement, qui s’enfonce dans une fuite en avant. Pourra-t-il refuser aux avocat·es ce qu’il a accordé aux pilotes de ligne ? Aux infirmières et infirmiers ce qu’il a promis aux enseignant·es ? Aux aides-soignant·es ce qu’il a offert à la police ?
Pour le reste, l’exécutif s’est armé de son indéfectible déni. Des inquiétudes exprimées par les Français·es pour leurs vieux jours, de la pénibilité du travail, des injustices de son système « universel ». Déni également du mouvement syndical et des formes traditionnelles de lutte sociale, qu’il croyait effacés par l’éclosion de mouvements « spontanés » comme celui des gilets jaunes. Emmanuel Macron espérait aussi briser les grèves en excluant de la réforme les conducteurs RATP et SNCF nés après 1985. Mais il a buté sur une idée de solidarité intergénérationnelle qui, visiblement, le dépasse.
Dans cette impasse, le gouvernement semble déterminé à accélérer. Le texte vient d’être transmis au Conseil d’État pour validation avant présentation en Conseil des ministres le 24 janvier. Il sera floqué d’une procédure d’urgence pour un examen avant l’été et prévoit, à en croire le discours d’Édouard Philippe le 11 décembre, des articles autorisant le gouvernement à légiférer par ordonnances.
Comme d’habitude, Emmanuel Macron force le temps démocratique en faisant voter des mesures encore en discussion avec les syndicats, pour renvoyer les arbitrages cruciaux à l’opacité des décrets d’application. Pour servir au récit médiatique la petite musique du compromis de sortie de crise, il ne semble néanmoins prêt à aucun geste significatif, hormis beaucoup de réunions, quelques reformulations et une poignée de nouvelles exceptions (lire p. 9). Les syndicats devraient donc choisir entre la brutalité et l’instrumentalisation, pour jouer un rôle sans relief dans un dialogue social de plus en plus chimérique. Dans ce jeu de dupes, on ignore qui, des syndicats ou du pouvoir, a le plus à perdre.