Ménilmontant FC 1871 : Balle au poing
Depuis 2014, le Ménilmontant FC 1871 milite pour un football populaire, antiraciste, antifasciste, anticapitaliste… Las, il a écopé d’un an de suspension de stade pour « apologie de la haine ».
dans l’hebdo N° 1588 Acheter ce numéro
Au son d’un tambour, les supporters du Ménilmontant Football Club 1871 (MFC 1871) s’époumonent : « Contre les milliardaires, face à la répression / Le football populaire c’est notre Ligue des Champions /Au nord-est de Paris joue le Ménil FC / Et dans les stades pourris on vient l’encourager. » Ce 19 janvier, le MFC affronte l’AS Victory à Rosny-sous-Bois (93). Un contingent de soutien a fait le déplacement. Les chants s’enchaînent, les drapeaux blanc, noir et rouge sont agités. « Vos joueurs ont bien de la chance », s’étonne presque l’arbitre de touche, membre du club adverse.
Il est vrai qu’en quatrième division de district, avant-dernier niveau départemental, les tribunes ou mains courantes sont rarement prises d’assaut par les supporters. Mais au Ménil’ FC, qui arpente les pelouses de Seine-Saint-Denis depuis près de cinq ans, c’est chose habituelle. Un « ultra » (supporter très engagé) d’un club du sud de la France est aussi de la partie : « C’est la deuxième fois que je viens soutenir cette équipe, mais je le fais dès que je peux. C’est unique en France de voir ça ; d’habitude, à partir de la Ligue 2, les stades sont un peu morts. » Il sourit : « Et puis j’adhère aux idées aussi. »
Les idées ? Il suffit d’un rapide coup d’œil pour les comprendre. Dans les cages, le goal arbore le maillot du Club Deportivo Palestino, équipe chilienne soutenant la cause palestinienne. Le drapeau du pays occupé est d’ailleurs accroché au bord du terrain par les supporters et dessiné sur le maillot du club accompagné de la mention « Free Palestine ». Sur cette tunique blanche, pas de sponsors, mais des bandes rouges et noires. « Les couleurs du communisme libertaire », explique un supporter de la première heure. « Le club s’appelle le MFC 1871, c’est aussi l’année de la Commune. » Car, si le MFC est avant tout un club de football, il revêt une dimension politique indéniable – « mais pas partisane », préviennent ses représentants.
Le club est fondé en 2014. Sans ancrage géographique, il prend le nom de Ménilmontant, quartier parisien repaire des « antifas ». Quatre ans plus tôt, le plan Leproux a massivement interdit de stade des milliers de supporters du Paris-Saint-Germain (PSG). De nombreux ultras sont orphelins du Parc des Princes. « Le MFC, c’est la rencontre d’anciens supporters du PSG exclus en 2010 et de militants antifascistes », résume Flavien, membre fondateur et ancien de la tribune Auteuil. Pour éviter tout amalgame, il précise : « Mais, sur les milliers d’interdits de stade, les créateurs du MFC ne sont qu’une poignée. Et puis il n’en reste plus beaucoup aujourd’hui, même si ça fait partie de l’histoire. »
À ses débuts, le club est autogéré : « Pendant deux ans on a voté sur les équipes, les postes », raconte Flavien. « On a réussi à monter dans la division supérieure, mais on a voulu mettre un cadre à tout ça. » Akye devient donc l’entraîneur, Mirko son adjoint. S’ils gardent la main sur les décisions sportives, le reste est débattu par les membres du MFC. Comme le financement de l’association, par exemple. En enfilant ses crampons, Jean développe : « On veut tendre le plus possible vers l’autofinancement. Même pour demander des subventions, on a eu des discussions. Il n’y a pas beaucoup de clubs qui se posent ces questions, je pense. »
Pour la première fois, la mairie de Paris a alloué au club la somme – plutôt anecdotique – de 500 euros pour la saison en cours. Mais ce sont principalement les cotisations de 120 euros par saison qui permettent de payer le terrain et les arbitres (environ 70 euros par match à domicile). Des contraintes pas forcément en adéquation avec la logique anticapitaliste du Ménil’ FC, mais acceptées : « Contrairement à d’autres équipes qui préfèrent jouer en loisir, on a fait le choix d’intégrer le championnat officiel de la Fédération française de football, pour aller batailler avec les autres clubs… » lance Akye. Il s’arrête, on le questionne : « Les autres clubs ? » « Les autres équipes plus classiques », sourit-il.
Malgré les « Siamo tutti antifascisti » qui résonnent dans le stade, joueurs et entraîneurs souhaitent aujourd’hui se défaire de cette image d’ultras et d’antifas, et préfèrent définir le club comme « un mélange de tout : ultras, étudiants, militants, migrants, jeunes issus de quartiers populaires… ». Le MFC recense une cinquantaine de joueurs, tous en catégorie senior (adulte), et environ autant de supporters « actifs ». Ouvert à tous, « sauf aux fafs, bien sûr ». « Le but, c’est de rallier au maximum avec les idées du club, explique Akye, et de sensibiliser les personnes qui ne sont pas forcément politisées aux causes que les militants du club soutiennent. »
« Ça a permis aux activistes de connaître le folklore du stade et de sensibiliser à la politique les mecs du stade », complète Maurice depuis le bord du terrain, bonnet du MFC enfoncé sur la tête, écharpe du club remontée jusqu’au nez. Lui ne connaissait rien au monde du foot. Avec d’autres supporters, il a monté la « section darons », « ceux qui rentrent après le match parce qu’ils ont des enfants ». Il compte à vue d’œil ses acolytes du jour : « Aujourd’hui, on n’est pas nombreux parce qu’il n’y a pas de tribunes, mais d’habitude il y a plus de monde, puis on organise des actions. À côté du stade de la Motte, à Bobigny, où on joue d’habitude, il y a un camp de Roms. Des gens du club amènent les enfants aux matchs ; dans l’année on organise des collectes et des goûters pour eux. »
Au-delà du foot, le club profite de son activité pour mener des actions locales et jouer son rôle associatif. Grâce à la vente de maillots, il a fait un don de 2 500 euros pour financer une bibliothèque itinérante dans un camp de réfugiés à Bethléem. Des hommages à Clément Méric, tué par des militants d’extrême droite, ou à Adama Traoré, mort dans la gendarmerie de Persan, ont été organisés, tout comme des dons matériels à des migrants, des maraudes, des caisses de grève, sans compter l’engagement de chacun pour diverses causes.
Cette identité multiple a fait le renom du club. Le MFC a tissé des liens avec d’autres collectifs similaires dans le monde, qui se convient les uns les autres pour des tournois amicaux. L’été dernier, une quinzaine de membres ont ainsi été reçus à Clapton, en Angleterre. Dans l’Hexagone, le club a également une certaine renommée. Il fait l’objet d’articles ou de chansons, comme celle de l’artiste DJ Pone, intitulée « M.F.C. ». Mais, -dernièrement, l’équipe francilienne et ses supporters ont aussi attiré l’attention des instances sportives et judiciaires.
Déjà condamné par le district de Seine-Saint-Denis pour l’usage de fumigènes, le club a écopé, fin décembre, d’un an de suspension de stade, avec repli sur terrain neutre devant se trouver à plus de 20 kilomètres autour de Bobigny (base du club), et d’une amende de 800 euros sur décision de la même instance. En cause, un tifo (une grosse banderole) déployé par les supporters lors d’un match en novembre dernier. Au-dessus d’une voiture de police entourée de flammes était écrit : « Ici on rêve que les poulets rôtissent. » Une punchline du rappeur Hugo TSR, que plusieurs membres du club doivent voir le soir même pour un concert de soutien aux sans-abri.
Un joueur raconte : « Ça s’est passé en plusieurs étapes. On a mis la photo sur les réseaux sociaux avec l’annonce du score, comme chaque dimanche. Ça a tourné sur Facebook et Twitter, puis sur le site identitaire Paris Vox. Facebook a censuré et, après, FO s’en est saisi. » FO, c’est l’Unité SGP-police Force ouvrière, qui appelle à la plus grande fermeté et entre en campagne pour dénoncer la « haine anti-flic ». « C’était un mauvais timing », regrette Pierre, supporter. « On ne le savait pas, mais le procès des voitures de police incendiées à Viry-Châtillon débutait le lendemain du match. Ça a été pris pour une référence, alors que ça ne l’était pas. »
Une enquête préliminaire est ouverte par le parquet de Paris, et la commission de discipline du district décrète que le tifo relève de l’apologie de la haine. Le club a fait appel, comme l’explique Me Guillemin, l’un des deux avocats du MFC 1871 : « La commission condamne sur le fondement des articles 23 et 24 de la loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse. Or elle n’en a pas les compétences. » En effet, l’organe départemental de la fédération s’appuie sur un texte de loi et non pas sur son propre règlement. Preuve, selon l’avocat, du flou qui entoure cette décision : « Ça traduit un certain amateurisme, mais on peut les comprendre. Ils n’ont pas les compétences ; d’habitude, les commissions de discipline condamnent pour des bagarres. »
Forcément, la proximité entre instances sportives, judiciaires et le syndicat policier interroge. Ce dernier a notamment apporté des pièces au dossier et publié une photo de la décision du district sur les réseaux sociaux, bien que celle-ci soit confidentielle. Des doutes d’autant plus légitimes au vu des positions politiques du club, qui n’a jamais caché son engagement contre les violences policières.
L’appel n’étant pas suspensif, le MFC doit trouver des stades afin d’accueillir ses trois dernières rencontres à domicile de la saison. Dimanche 26, le MFC a donc « reçu » dans un stade de Seine-et-Marne, où il s’est imposé 2-1. Sans avoir plus de visibilité, le MFC fête tout de même ses cinq ans ce 1er février. Et comme dit l’un de ses membres : « C’est déjà pas mal… »