Municipales : La tambouille macronienne
Pour LREM, tous les moyens sont bons pour avoir des élus et minimiser un mauvais résultat du parti présidentiel.
dans l’hebdo N° 1588 Acheter ce numéro
Les élections sénatoriales avaient douché les ambitions de La République en marche (LREM). Les municipales ne s’annoncent pas sous de meilleurs auspices. Après l’irruption des gilets jaunes, et alors que le gouvernement fait face à une très forte contestation de son projet de retraite par points, l’impopularité d’Emmanuel Macron et de sa majorité atteint des sommets. Les ministres sont eux-mêmes peu enclins à s’afficher sur des listes ou aux côtés de candidats. À plusieurs reprises, le chef de l’État a rappelé, en petit comité, notamment lors des déjeuners de la majorité, qu’il était « dans l’ordre des choses » qu’un ministre « se soumette à un moment donné au suffrage universel ». Sans vraiment convaincre puisque sur les 38 membres du gouvernement, 9 seulement ont déclaré leur candidature (1) et 3 hésitent encore (2). Le parti présidentiel pâtit en outre d’une faible implantation locale, éclatante lors du renouvellement du Sénat en 2017.
En juin de cette année-là, les stratèges du mouvement macronien, tout à l’euphorie de leur victoire à la présidentielle et aux législatives, imaginaient faire une entrée massive au Palais du Luxembourg avec, pourquoi pas, 90 sièges de sénateurs. À la fin de l’été, la direction du parti n’en espérait déjà plus que 50, au mieux, mais se rêvait toujours en deuxième force du Sénat. Las, après le scrutin du 24 septembre, ils n’étaient que 21 à faire leur rentrée parlementaire dans le groupe LREM, qui comptait encore quelques jours auparavant 29 membres, essentiellement en provenance du Parti socialiste.
Échaudé par ce précédent, le secrétaire général de LREM, Stanislas Guerini, aborde les municipales avec humilité. Depuis la présentation des premiers candidats investis, le 17 juin, il refuse de fixer des objectifs de villes à conquérir. Et se contente d’affirmer, en guise de stratégie, son souhait d’améliorer le maillage territorial du parti présidentiel, qui a « besoin d’élus locaux progressistes » : « Nous avons besoin de ce relais local, qui parfois nous a fait défaut, pour réussir le dernier kilomètre de la réforme. » À l’entendre, l’enjeu pour LREM, réaffirmé contre vents et marées, est de quintupler le nombre de ses élus municipaux. Le parti présidentiel en revendique actuellement 2 000. Stanislas Guerini en espère 10 000 après le 22 mars, soit à peine 2 000 de moins que le nombre d’élus locaux encartés revendiqués par Les Républicains.
Cela représente « un travail considérable d’ancrage local pour un mouvement qui part de zéro », se félicite-t-il dans un entretien à Ouest-France (16 janvier). Non sans cacher que la constitution de cette « base [sera] déterminante pour les élections locales suivantes » : les sénatoriales (dont le corps électoral est composé à 96 % d’élus municipaux), les départementales et les régionales. Mais au 15 janvier, la commission nationale d’investiture de LREM, à la tâche depuis le mois de juin, n’avait investi que 526 candidats ou chefs de file dans les 1 150 villes de plus de 9 000 habitants. Et même si une nouvelle vague de désignations était prévue en cette fin janvier et une autre début février, « au final » LREM ne prendra position que « dans 700 à 800 de ces villes », selon Stanislas Guerini. Un chiffre plutôt modeste pour une formation aux commandes de l’État.
Et pourtant, pour ces investitures, la commission nationale d’investiture a ratissé large, distribuant son label tantôt à des marcheurs de la première heure, tantôt à des élus en mal de reconnaissance – trop récemment ralliés pour être acceptés des militants locaux –, ou des maires sortants. Que ces élus soient issus du PS, de l’UDI, du MoDem ou de LR importe peu, et pas plus qu’ils soient encore membres d’un de ces partis. Dans ce dernier cas, LREM parle de « soutien » plutôt que d’investiture. Dès le 17 juin, la commission nationale d’investiture (CNI), coprésidée par l’ex-juppéiste Marie Guévenoux et l’ancien ministre de la Défense (PS) Alain Richard (3), membres tous deux du bureau exécutif de LREM, annonçait son soutien au maire sortant socialiste de Clichy-sous-Bois (Seine-Saint-Denis), Olivier Klein, déjà investi par le PS, et l’investiture d’Emmanuel Darcissac (Alençon), fraîchement passé du PS à LREM. En même temps, selon la formule macronienne, deux maires sortants du Mouvement radical (droite) obtenaient le soutien de LREM : Laurent Degallaix (Valenciennes) et Dominique Faure (Saint-Orens-de-Gameville).
Cette approche présentée comme « pragmatique » mêlant investitures de candidats maison et soutien à des maires sortants jugés « Macron-compatibles », ainsi que le fonctionnement très centralisé de la commission d’investiture, a suscité des dissidences et provoqué des remous dans plusieurs villes. La rivalité qui oppose à Paris l’ex-porte-parole du gouvernement et candidat officiel de LREM, Benjamin Griveaux, au mathématicien et député de l’Essonne Cédric Villani est loin d’être un cas isolé. Dans 16 des 50 plus grosses villes de France, le parti présidentiel se voit opposer des listes dissidentes (4). Et si dans quelques cas la direction du parti espère encore pouvoir venir à bout de cette fronde qui hypothèque ses chances de l’emporter, Emmanuel Macron lui-même n’est pas parvenu à obtenir de Cédric Villani, reçu le 26 janvier à l’Élysée, qu’il renonce à sa candidature. Parviendra-t-il à mettre un terme à la situation ubuesque qui prévaut à Biarritz, où le secrétaire d’État aux Affaires européennes, Jean-Baptiste Lemoyne, est en soutien sur la liste du maire sortant, contre lequel se présente le ministre de l’Agriculture, Didier Guillaume ? Nul ne le parierait.
Tous ces dissidents, mécontents d’avoir été écartés par la CNI, se réclament d’ailleurs de la démarche « hors parti » d’Emmanuel Macron en 2016, parlent de « rassemblement » et de « renouvellement ». Si les investitures de la CNI ne se traduisent pas toujours, loin s’en faut, par des candidatures dissidentes, elles suscitent un peu partout incompréhension, colère ou ressentiment parmi les troupes de LREM. Des militants de la première heure se sont regroupés au sein d’un collectif informel baptisé « les marcheurs libres » et ont commencé à s’organiser sur les réseaux sociaux. Quelques réunions de ces marcheurs déçus ont été organisées, notamment dans les Hauts-de-Seine. Toujours fidèles à Emmanuel Macron, ils contestent l’organisation, le fonctionnement, les choix et la stratégie de leur mouvement. Refusent de faire campagne pour des candidats désignés sans « aucun débat » interne ni consultation des militants, au terme de « tractations politiciennes bien éloignées d’une prétendue rénovation des pratiques politiques ».
« Ce sont des méthodes bien pires que celles qui étaient – et sont – pratiquées dans les partis dits traditionnels », tonne sur son Facebook l’ex-maire PS d’une ville des Hauts-de-Seine. Avant d’interroger le double discours du mouvement dont il continue de se revendiquer : « Comment prétendre vouloir mettre en place davantage de démocratie participative, comment prôner la participation citoyenne, parler de transparence quand le fonctionnement interne du mouvement repose sur une verticalité qui tient les adhérents dans l’irresponsabilité et l’infantilisation ? »
L’incompréhension est encore plus vive quand les candidats investis ou soutenus par LREM s’affichaient, il n’y a pas si longtemps, aux côtés de La Manif pour tous, de Sens commun ou censuraient des campagnes de prévention mettant en scène des couples homosexuels. Si un compte Twitter créé en réaction, @LaREMpourtous, en débusque régulièrement, les plus emblématiques sont les LR Jean-Luc Moudenc, maire de Toulouse, Caroline Cayeux, maire de Beauvais, ou Patrick Ollier, maire de Rueil-Malmaison et président de la Métropole du Grand Paris, qui se sont prononcés ouvertement contre le mariage pour tous. Ce dernier avait même voté contre en 2014, et son entourage, interrogé par _Valeurs actuelles, assume : « C’est le parti d’Emmanuel Macron qui a décidé de le soutenir, donc c’est leur problème s’ils ont un problème avec leur base militante. » Cela ne risque pas d’en poser à la CNI. Au Sénat, son coprésident, Alain Richard, a voté contre l’extension de la PMA pour toutes. Et quand des Marcheurs tempêtent contre les choix de la CNI, Marie Guévenoux, sa comparse, députée de l’Essonne, minimise : « Nous avons une stratégie globale avec trois objectifs : renforcer l’ancrage local, conforter les partenariats avec les partis alliés et élargir la majorité. Il est vrai que ce troisième point peut parfois être mal compris par des militants. »
Pour le parti présidentiel, les convictions et les idées comptent moins que le fait d’avoir des élus. Dans un guide de 134 pages, véritable b.a.-ba pour candidats novices, LREM ne se contente pas de prodiguer des conseils juridiques ou de leur proposer « une méthode » inspirée du marketing – fabrication d’un storytelling personnel, réalisation d’une « carte empathique » pour représenter l’électeur de manière sensorielle, etc. – « afin de mener avec succès chaque étape de [leur] campagne ». Ce guide juge également « préférable de faire campagne sur une étiquette de rassemblement / société civile » si le candidat se présente dans une commune où LREM « sous-performe ». Avancer masqué donc pour éviter de se prendre une veste n’est toutefois pas le conseil le plus opportuniste de ce guide. Pages 17 et 18, analysant le cas d’une candidate LREM opposée à un maire sortant de droite « dont le bilan est bon », le parti présidentiel envisage deux scénarios pour l’entre-deux tours : si la candidate LREM « est 3e ou 4e au premier tour, en obtenant près de 11 % des suffrages, elle peut négocier avec le maire et lui apporter une crédibilité écologiste modérée » ; si elle « arrive deuxième juste derrière le maire, elle peut discuter avec le PS et les verts pour faire battre ce dernier et prendre la tête de la nouvelle majorité municipale ».
La circulaire contestée de Christophe Castaner, qui prévoit de ne plus attribuer d’étiquette politique aux listes présentes dans les villes de moins de 9 000 habitants (le vote de 96 % des communes et la moitié des électeurs ne seront de ce fait plus pris en compte dans la totalisation nationale du résultat) mais aussi d’étiqueter « divers centre » des listes soutenues par LREM, le MoDem ou l’UDI dans les villes de plus de 9 000 habitants afin de gonfler le score de la « majorité présidentielle », s’inscrit dans la même veine : rendre illisible le scrutin et amoindrir le revers électoral prévisible du parti présidentiel.
(1) Gabriel Attal à Vanves (92), Gérald Darmanin à Tourcoing (59), Jean-Baptiste Djebbari à Limoges (87), Marc Fesneau à Marchenoir (41), Sébastien Lecornu à Vernon (27), Agnès Pannier-Runacher à Paris XVIe, Marlène Schiappa à Paris XIVe. Quant à Didier Guillaume et Jean-Baptiste Lemoyne, ils sont tous deux candidats à Biarritz (64) sur des listes concurrentes.
(2) Édouard Philippe, ancien maire du Havre, Agnès Buzyn et Emmanuelle Wargon.
(3) Seize membres composent cette CNI, composée presque à parité de neuf hommes et sept femmes, de cinq personnalités issues de la droite et quatre du PS, les sept autres étant issus de la « société civile » ou proches d’Emmanuel Macron.
(4) Outre Paris, c’est le cas à Lyon, Toulouse, Nice, Montpellier, Nîmes, Aix-en-Provence, Annecy, Besançon, Orléans, Le Mans, Mulhouse, Metz, Rouen, Amiens, Argenteuil.