Réforme des retraites : Un projet « très idéologique »

Arc-bouté autour de son « âge d’équilibre », le futur système de retraite par points est pensé pour faire travailler les Français plus longtemps, faute de quoi leur pension baissera drastiquement. Analyse du texte de loi avec l’économiste Michaël Zemmour.

Erwan Manac'h  • 15 janvier 2020 abonné·es
Réforme des retraites : Un projet « très idéologique »
© Bertrand GUAY/AFP

Le projet de loi ordinaire de 141 pages et le projet de loi organique composant la réforme des retraites ont été rendus publics par la CGT le 10 janvier. Ils sont tendus vers une règle d’or budgétaire et portent plusieurs mécanismes qui risquent de provoquer une baisse des pensions, analyse Michaël Zemmour. Le report de l’âge pivot, provisoire et conditionné, qu’Édouard Philippe a annoncé le 11 janvier, n’est pas de nature à modifier la logique régressive de ce projet de réforme.

Que retenez-vous de la lecture des deux textes de loi de la réforme des retraites ?

Michaël Zemmour : La mesure la plus importante de ce double projet de loi est la « règle d’or », consignée dans l’article 1 du projet de loi organique. Elle dit que le système n’a pas le droit d’être en déséquilibre sur une période de cinq ans en moyenne. Cette règle d’or, conjuguée au fait qu’on refuse toute augmentation de cotisation et qu’on a fait naître un déséquilibre dans le système, constitue un verrou. Des économies seront faites sur les pensions. Nous passons d’un système à « rendement défini », c’est-à-dire un système où le niveau de pension est garanti, à un système à « cotisation définie », où l’absence de déficit est gravée dans le marbre.

Les esprits se sont beaucoup concentrés sur l’âge pivot, également appelé « âge d’équilibre ». De quoi s’agit-il ?

Nous parlons en réalité de deux âges pivots, qui sont liés, mais un peu différents. Le premier est le moyen qui était proposé par le Premier ministre – et qui l’est toujours – pour faire baisser les pensions des personnes qui ne seront pas concernées par le système par points (celles nées entre 1960 et 1975). Le gouvernement veut faire 12 milliards d’euros d’économie sur cette génération, qui représente à peu près 4 millions de personnes. Ça fait des baisses de pension importantes. On garde le critère de durée de cotisation qui existe aujourd’hui – il faut avoir cotisé quarante-deux années –, mais on y ajoute un critère d’âge – partir à 64 ans. On choisit le plus défavorable des deux critères pour calculer la décote.

Un tel mécanisme diminue les pensions de quasiment tout le monde et permet de faire des économies de l’ordre de 5 à 8 % des droits à pension. Même ceux qui partiront à 64 ans seront perdants, car ils ne bénéficieront plus des surcotes auxquelles ils auraient eu droit dans le système actuel. C’est ce premier âge pivot qui est retiré du projet de loi, mais pourrait revenir par ordonnance pendant ou après le vote à l’Assemblée. À moins que ce ne soit une autre mesure d’économie.

Le deuxième âge pivot, qu’on appelle plus souvent « âge d’équilibre », est celui qui sert de charpente au futur système par points. C’est l’élément qui permet d’ajuster les pensions à la baisse à mesure que l’espérance de vie augmente. Pour les gens nés en 1975, il y aurait un âge pivot à 65 ans. Ils seraient autorisés à partir en retraite avant, mais leur pension subirait une décote de 5 % par année manquante. Les gens nés dans les années 1990 auraient plutôt un âge d’équilibre à 66 ou 67 ans.

Est-ce qu’une telle politique est rendue nécessaire par le déficit du régime de retraite ?

Non, c’est rendu nécessaire par la volonté du gouvernement de baisser les dépenses. Le gouvernement a créé un déficit par des mesures d’exonération et par une baisse de la masse salariale de l’État [en supprimant des postes de fonctionnaires – NDLR]. Les dépenses de retraites aujourd’hui n’augmentent pas. Elles sont stables, voire en diminution du fait des réformes précédentes. Mais la baisse de recettes fait apparaître un déficit. La solution simple serait de résorber ce déficit, mais le gouvernement a exclu l’augmentation des ressources. Il cherche absolument à faire 12 milliards d’euros d’économie avant même de mettre en place le système par points.

Dans le futur système, l’âge pivot est la contrepartie du fait que le gouvernement entend plafonner à 14 % du PIB le montant total des cotisations retraite. Or les retraités seront de plus en plus nombreux. Nous avons aujourd’hui 20 % de la population âgée de plus de 65 ans et on s’attend à ce que cette proportion grimpe à 27 % en 2050. Si le montant de l’enveloppe n’évolue pas, nous avons simplement le choix entre partir plus tard et toucher moins chaque année. C’est exactement ce que prévoit l’âge d’équilibre.

L’alternative qui voudrait qu’on augmente les cotisations pour financer le système sans travailler plus longtemps risque-t-elle de peser sur les entreprises ?

Non, pour au moins deux raisons. Pour les économistes, il est assez clair que les cotisations retraite sont toujours essentiellement supportées par les salariés. Lors des négociations de salaire, les entreprises sont quasiment toujours capables de les répercuter sur les salariés, par exemple en refusant des hausses de salaire.

Deuxièmement, il n’existe pas de solution « gratuite » : soit on finance un système public pour maintenir les retraites à un niveau correct. Soit, dans toutes les entreprises avec un emploi assez stable, se développeront des retraites complémentaires par capitalisation (privées). Autrement dit, il se passera ce qui s’est passé avec les complémentaires santé. L’État n’a pas voulu augmenter le financement de l’Assurance-maladie, résultat, il a rendu obligatoires des cotisations à des assurances privées. D’une manière ou d’une autre, il faudra cotiser plus, soit dans un système public, soit dans un système privé.

Mais il faut avoir à l’esprit que le refus par principe d’augmenter les cotisations est très idéologique. Les ordres de grandeur de ce qu’il faudrait pour limiter la baisse des pensions, voire l’enrayer complètement, seraient de 0,2 point de cotisation supplémentaire par an (0,1 point pour l’employeur, 0,1 point pour le salarié). Autant dire que c’est très faible et que c’est bien inférieur aux augmentations de salaire.

Le gouvernement a accepté que la CFDT et les « partenaires sociaux » (syndicats et patronat) cherchent des alternatives à l’âge pivot. Quelles pourraient être ces alternatives ?

Tant que l’objectif reste de faire 12 milliards d’euros d’économie sans augmentation de ressources, ce qui semble être la ligne du gouvernement, les seuls moyens de faire des économies sont de reculer l’âge légal de départ à la retraite ou d’augmenter très rapidement la durée de cotisation. Tellement rapidement que les gens partiraient avant d’avoir le taux plein, ce qui risque d’accroître les décotes.

La position initiale de la CFDT était d’exclure toute mesure d’économie préalable à la réforme. Elle opère aujourd’hui un changement stratégique en acceptant de négocier les modalités de ces mesures d’économie. Peut-être qu’ils vont avancer en proposant des financements supplémentaires, mais la question qui reste posée est la suivante : comment baisser (de 12 milliards d’euros) les pensions des gens qui ne sont pas concernés par la réforme du système ?

Le 11 décembre, le gouvernement avait promis que la valeur du point, qui sert à calculer le montant des pensions retraite, serait indexée sur les salaires. N’est-ce pas une garantie importante à mettre au crédit du mouvement social ?

Cette indexation est un objectif fixé à l’horizon 2042, sauf dérogation… Autant dire que ce n’est pas une garantie très solide. Mais, surtout, la valeur du point ne garantit pas grand-chose dans un système avec un âge d’équilibre qui peut bouger. La valeur du point est garantie, certes, mais vous n’êtes pas sûr de toucher 100 % de votre point si vous deviez subir une décote en ne travaillant pas jusqu’à l’âge d’équilibre. En affichage, nous n’aurons pas touché à la valeur du point mais, en pratique, la valeur effective que vous touchez est beaucoup plus faible.

La loi garantit une pension à 85 % du Smic au minimum pour les salariés à taux plein. Comment cela fonctionne-t-il dans un système par points ?

Il y a là une usine à gaz. Le gouvernement prévoit de donner un stock bonus de points aux personnes qui, d’une part, auront atteint leur âge d’équilibre et qui, d’autre part, justifieront de quarante-trois années pendant lesquelles elles auront suffisamment travaillé pour accumuler assez de points. Si vous réunissez ces deux conditions, on vous complète votre stock de points pour que vous atteigniez 85 % du Smic.

Désormais, il faudra remplir cette double condition, alors qu’aujourd’hui le minimum contributif est soumis à une unique condition : atteindre 62 ans. D’autre part, tout le monde ne serait pas éligible, loin de là, car l’essentiel des personnes qui sont concernées par les minima de pension n’ont pas de carrière complète. En réalité, la plupart des gens qui seraient éligibles à ces minima de pension auraient en réalité droit à un pourcentage de ces 1 000 euros.

Imaginons qu’une majorité de gauche arrive au pouvoir : avec un système de retraite universel par points, sera-t-elle empêchée de conduire une politique redistributive, de justice sociale, qui préserve le niveau de vie des retraités ?

On peut évidemment toujours faire de nouvelles lois qui changent le système mais, dans la manière dont le système par points a été pensé, chaque génération cotise pour elle-même. Donc, si vous appartenez à une génération qui n’a pas beaucoup cotisé et qui risque d’avoir une retraite insuffisante, l’État ne peut pas redresser le tir au moment où vous partez à la retraite. Dans le système actuel, l’État peut ajuster à moins de cinq ans en ajustant le niveau des cotisations et le niveau des pensions. L’idée originelle du système par points tel qu’il est défini, c’est que l’historique de vos cotisations dans votre carrière donne votre niveau de pension et qu’on n’y touche pas. C’est le fameux « 1 euro cotisé donne les mêmes droits ».

Michaël Zemmour Maître de conférences à l’université Paris-Panthéon Sorbonne, chercheur au LIEPP (Sciences Po).

Économie Travail
Temps de lecture : 9 minutes

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