Retraite et décroissance
La seule manière d’amortir cette réforme est d’avoir un taux de croissance élevé.
dans l’hebdo N° 1586 Acheter ce numéro
Il existe un angle mort dans toutes les analyses sur la retraite, la nécessité d’une croissance, y compris dans le projet macronien, qui invente un seuil de 14 % du PIB pour définir le volume des retraites versées. Nous sommes loin du projet d’Ambroise Croizat, père de la Sécurité sociale, qui écrivait : « La retraite ne doit plus être l’antichambre de la mort, mais une nouvelle étape de la vie. »
La retraite, c’est le principe qu’après la période d’activité toute personne a le droit de percevoir une pension, ce qui techniquement correspond à une redistribution de la richesse produite. Quel que soit le mode de financement, répartition ou capitalisation, c’est toujours un transfert de la richesse produite des actifs vers les inactifs, seule la nature change : dans le cas de la répartition, cela passe par une part des salaires à travers les cotisations sociales (système dit bismarckien), alors que dans le cas de la capitalisation, c’est une part des revenus financiers prélevés sur la richesse produite. Cette logique assurantielle où les prestations sont versées aux personnes qui se sont assurées contre tel risque, celui du passage de l’activité à l’inactivité, peut être complétée par un système dit beveridgien, où prévaut une logique assistancielle dans laquelle les prestations sont versées aux individus qui en ont besoin, et le financement se fait à travers l’impôt.
La France a bâti un système hybride inspiré de deux systèmes, solidaire et redistributif, alliant protection universelle et gestion autonome par les partenaires sociaux (démocratie sociale). La réforme actuelle de Macron du système par points est une révolution régressive qui détruit la démocratie sociale pour un système bureaucratique, automatisé, qui efface les différences d’espérance de vie, de parcours d’activité pour privilégier une fois de plus les plus riches, après la transformation de l’impôt de solidarité sur la fortune (ISF) en impôt sur la fortune immobilière (IFI) et l’instauration d’une « flat tax » (prélèvement forfaitaire unique) sur le capital. Car la réforme des retraites prévoit d’abaisser également le seuil des revenus au-delà duquel la cotisation, qui devient minime (passant de 28,12 % à 2,81 %), au régime de retraites n’ouvre plus accès à des droits, ce qui entraîne la sortie des salaires supérieurs à 10 000 euros par mois du système par répartition, pour des épargnes privées comme celles vendues par Black Rock.
La seule manière d’amortir cette réforme est d’avoir un taux de croissance élevé qui permettrait dans une logique de ruissellement, chère au gouvernement Macron, d’amortir le choc tout en accentuant les inégalités de revenu. Tout cela est contradictoire avec les objectifs pour résoudre la crise écologique. Nous devons transformer notre modèle économique, découpler croissance et émission de gaz à effet de serre, tout en maintenant la solidarité intergénérationnelle, privilégier la vie sur la mort. Ce n’est pas d’un âge pivot dont nous avons besoin, mais d’un départ à la retraite qui tienne compte de l’espérance de vie en bonne santé ; ce n’est pas d’une hausse de la croissance dont nous avons besoin, mais d’une réduction des inégalités de revenu.
Jérôme Gleizes Enseignant à Paris-8
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