Retraites : un tissu de mensonges
L’accord conclu entre le gouvernement et la CFDT ne change pas la teneur de la réforme des retraites et n’altère pas l’unité syndicale contre le projet.
dans l’hebdo N° 1586 Acheter ce numéro
Rien n’y fait. Le « compromis de sortie de crise » annoncé par le Premier ministre ne prend pas. Malgré la joie un brin surjouée de la CFDT, qui s’arroge cette « victoire », et une mise en scène soignée, au terme d’une semaine de négociation et au 38e jour d’une grève éprouvante.
La liste est longue, des renoncements et des mensonges que le syndicat « réformiste » aura dû essuyer pour se sortir vainqueur de ce qui pourrait bien être en réalité sa défaite. Car malgré ses efforts considérables pour négocier, le gouvernement n’a en réalité rien cédé. D’une part, le retrait de « l’âge pivot » annoncé ne concerne que la mesure immédiate d’économie qui devait entrer en vigueur à partir de 2022, en attendant la mise sur orbite du système à points. Le projet de réforme systémique, lui, comporte bien un « âge d’équilibre » avant lequel les Français subiront une décote de 5 % par année. Ce vrai-faux retrait est également conditionné à l’éclosion d’un compromis entre les syndicats et le patronat, dès le mois d’avril, lors de la conférence de financement. Voilà qui nous ramène, à peu de chose près, à ce qu’Édouard Philippe annonçait le 11 décembre. Selon son plan initial, « la nouvelle gouvernance [paritaire] du système universel définira les différentes étapes menant à l’âge d’équilibre » en 2027 (« âge d’équilibre », « malus et bonus »).
Le Premier ministre a également verrouillé la future négociation. Elle ne pourra pas s’intéresser aux cotisations et, en cas d’échec du compromis d’ici à la fin avril, il « prendr[a] [s] es responsabilités » en rétablissant le plan initial d’un âge pivot immédiat. Le patronat pourra ainsi choisir de bloquer tout compromis si les mesures mises sur la table par les syndicats le satisfont moins que le plan B qui pend au nez des négociateurs. Un mauvais remake du film cousu main l’an dernier par Matignon pour organiser le durcissement des règles d’indemnisation chômage. Les syndicats avaient été, à l’époque, invités à discuter d’une cure de 3 milliards d’euros sur le dos des chômeurs, avant que Matignon, déjà, « prenne ses responsabilités ». Comment échapper à un tel scénario ? Le Medef a prévenu qu’il se tenait prêt, tout au plus, à une discussion sur « les mesures d’âge juste » permettant peu ou prou de faire travailler les gens plus longtemps (âge pivot individualisé, allongement de la durée de cotisation). Étant entendu qu’« à la fin, il faudra que ça boucle » financièrement, plastronne Geoffroy Roux de Bézieux, son président, dans Le JDD.
Pas sûr, donc, qu’il se laisse convaincre par l’alternative brandie ces derniers jours par la CFDT, qui propose de réaffecter une partie du fonds de réserve retraite et du fonds dédié au remboursement de la dette sociale (CRDS). Le syndicat pourrait alors avoir à assumer aux yeux de ses adhérents un soutien à une mesure d’âge qui ne s’appellerait certes pas « âge pivot », mais dont la teneur risque d’être équivalente.
Ce « compromis » est par ailleurs annoncé sans aucun changement de calendrier législatif. Si les partenaires sociaux parviennent à trouver des mesures d’économie, elles seront ajoutées au texte de loi pendant l’examen du texte, ou après, par ordonnances. La macronie nous a habitués à ces votes de textes à trous renvoyant les vraies décisions aux cabinets ministériels. Elle ne redoute pas de reproduire cette méthode pour un texte d’une telle importance.
L’unité de l’intersyndicale (CGT, FO, FSU, Solidaires, CGE-CGC) n’a pas été fragilisée par ces annonces. La CFDT n’avait pas joué de rôle moteur dans la mobilisation jusqu’alors. L’Unsa joue quant à elle une partition ambivalente, car sa direction est favorable à la réforme alors que sa base, première à la RATP et forte à la SNCF, est aux avant-postes du mouvement de contestation. Si la grève semble ralentir, c’est donc essentiellement par l’épuisement du noyau dur. Intact sur le fond, le rejet du projet de réforme devrait donc continuer, sous d’autres formes.
Mise à jour, 16/01/2020 : le mot CFDT a été remplacé dans le titre par celui, plus général, de « Retraites ».