À Hénin-Beaumont : s’opposer au RN, « un sport de combat »
Emmenée par l’écologiste Marine Tondelier, la gauche mène une âpre campagne contre le maire d’extrême droite, Steeve Briois, qui harcèle depuis six ans toute opposition dans sa commune.
dans l’hebdo N° 1592 Acheter ce numéro
Steeve Briois, aujourd’hui, c’est devenu Greta -Thunberg ! » ironise Marine Tondelier, leader (EELV) de l’opposition au maire d’extrême droite d’Hénin-Beaumont, en tendant ses tracts sur le marché de cette commune de 26 000 âmes, située dans l’ancien bassin minier du Pas-de-Calais, historiquement socialiste depuis la Libération.
Après vingt années d’un patient travail de terrain, Steeve Briois, enfant du pays, a été élu maire en 2014 dès le premier tour, avec 50,25 % des suffrages. Et il fut un temps où lui et ses sbires, déjà solidement installés à l’hôtel de ville, concentraient leurs attaques contre la « bobo parisienne » Marine -Tondelier en raison de son engagement écolo, présumé éloigné des soucis de la population. Mais ici comme ailleurs, dans cette région durement frappée par une désindustrialisation massive, les atteintes à l’environnement et les effets du réchauffement climatique font aujourd’hui partie des préoccupations quotidiennes. Et si l’attaque avait déjà du mal à porter il y a quelques années (l’élue est très connue localement puisque son grand-père tenait l’une des pharmacies du centre-ville et que ses parents exerçaient ici comme -médecins), les temps ont changé : la conscience de la nécessité de mener d’urgence une transition écologique paraît -largement répandue dans la commune. Au point que le maire et son équipe s’affichent désormais comme des défenseurs « convaincus » de l’environnement et de la biodiversité…
Ce contexte explique sans doute pourquoi le projet alternatif de promotion de l’écologie politique est plus convaincant aujourd’hui pour la population d’Hénin. Marine Tondelier, militante de longue date, multiplie ainsi les propositions. Petit gadget de campagne, elle et son équipe militante distribuent, avec chaque tract, un sachet de graines de fleurs à planter… après avoir voté le 15 mars !
Deux autres communes, géographiquement proches, ont expérimenté avec succès la mise en œuvre d’une politique de transition écologique assortie de mesures sociales. À Loos-en-Gohelle (également dans le bassin minier) et à Grande-Synthe (près de Dunkerque), les maires écologistes parviennent à contenir le vote d’extrême droite grâce à des réalisations concrètes et ont pour principe directeur la volonté de promouvoir une société apaisée, sans boucs émissaires, en impliquant le plus possible d’habitant·es. En particulier à Grande-Synthe, un accueil digne et humain des personnes migrantes a été organisé, assumé avec fierté et responsabilité.
Il est donc possible de résister. Non sans difficultés, cependant. Car on ne peut noter de recul significatif de la misère dans cette région où les effets de la mondialisation néolibérale ont conduit à un chômage massif et à un creusement des inégalités. Mais pas non plus de tensions croissantes avec la population immigrée, assez nombreuse dans cette région où, depuis plus d’un siècle, Belges, Polonais, Portugais, Espagnols, Italiens, Algériens, Marocains et Sénégalais sont venus travailler dans les mines et autres industries, pour beaucoup délocalisées depuis.
Alain Vantroys, délégué régional de la Ligue des droits de l’homme (LDH) pour les Hauts-de-France, observe depuis des années comment l’extrême droite « dévoie le discours républicain, alors qu’elle a, concrètement, très peu amélioré la situation économique des gens, mais promeut un discours très structuré dans cette région, traversée aujourd’hui par beaucoup de réfugiés ». Et le militant de reconnaître qu’il est « souvent difficile de contrer sur le terrain ce discours purement émotionnel qui, en fait, se borne à “jouer les pauvres contre d’autres pauvres” et n’hésite pas à se revendiquer à la fois social et national – ce qui a le mérite d’être clair et rappelle de funestes souvenirs »… Or la commune voisine de Loos-en-Gohelle est justement l’un des exemples qui, « face à ce discours développant des archétypes et un certain imaginaire d’exclusion, propose un autre récit, un contre-modèle qui fonctionne. Si, comme dans le reste du bassin minier, le RN obtient des scores très importants aux élections nationales – et, à Hénin-Beaumont, il a réussi à persuader beaucoup de gens que Marine Le Pen leur fait un “honneur” en venant se faire élire députée chez eux –, ce n’est pas le cas aux municipales ! »
Malgré tout, la récupération simpliste de « l’écologie », une vraie propension au clientélisme et surtout la stigmatisation incessante des immigré·es sont les ingrédients de l’opportunisme sans retenue développé par le RN à la mairie d’Hénin-Beaumont. Rencontré sur le marché communal, un ancien électeur communiste lançait ainsi à Marine Tondelier : « Depuis que j’ai ma carte du RN, quand je demande un truc à la mairie, je l’ai ! » Steeve Briois, qui a annoncé samedi 15 février qu’il sera candidat à sa réélection, comptera désormais sur sa liste la parachutée Huguette Fatna, « nounou antillaise » des enfants de Marine Le Pen impliquée dans l’affaire des assistant·es parlementaires FN (devenu RN) au Parlement européen. Elle était en effet rémunérée par l’eurodéputé Jean-Claude Martinez, alors que – c’est lui-même qui l’affirme – elle serait toujours restée à Saint-Cloud « à garder les enfants de Marine… »
Depuis plus de trois mois, la liste « Osons pour Hénin-Beaumont », conduite par Marine Tondelier, tente de convaincre avec un projet « humaniste, écologiste et solidaire ». Mais après les élections européennes l’an dernier, où l’extrême droite a obtenu plus de 55 %, le combat s’annonce rude. Pourtant, grâce à un travail long et patient, Marine -Tondelier a réussi à impulser une vraie dynamique unitaire en fédérant presque toutes les forces politiques opposées à la municipalité RN. Des communistes aux Insoumis·es, des écolos aux rescapé·es d’un PS largement déconsidéré après la chute de l’ancien maire (1), la liste compte même quelques gaullistes à tendance sociale (2).
Au sein du conseil municipal, les six opposant·es à Steeve Briois et à son équipe ont, durant six années, essuyé toutes les attaques possibles. Sans doute le signe d’une difficulté manifeste à concevoir une confrontation démocratique ? L’agressivité, la violence même, de la part du maire et de ses partisans à l’encontre de l’opposition municipale et, plus largement, de toute organisation politique ou association de la société civile atteint en effet des records. Au lendemain de son arrivée aux responsabilités, le maire FN expulsait ainsi de son local, alloué depuis des décennies par la ville, l’antenne du Secours populaire français, qui remplit pourtant une fonction sociale capitale auprès de la population la plus fragilisée par la hausse des inégalités. Même « tarif » pour le local de la section de la LDH, qualifiée d’organisation d’« extrême gauche » (sic) par Steeve Briois…
Le conseil municipal est aussi le lieu d’une rare violence verbale. À chaque séance, parfois amenés en cars, les partisans du RN sont massivement présents, faisant régner une ambiance peu propice au débat démocratique, enclins à toutes les intimidations possibles. Le journal municipal, affichant des photos du maire presque à chaque page, propose une politique culturelle et d’animation digne d’une télévision berlusconienne – la prochaine « grande » initiative, le 6 mars, une semaine avant le premier tour, est l’organisation du concours de beauté de Miss Héninois. Dans l’avant-dernière page, dédiée aux « tribunes politiques », celle du groupe « majorité municipale » occupe les quatre cinquièmes de l’espace, et elle n’est pas consacrée à mettre en valeur les réalisations de la mairie, mais uniquement à des attaques ad hominem contre Marine Tondelier ou David Noël (PCF).
Ce dernier est par ailleurs poursuivi en diffamation par le directeur général des services municipaux pour avoir soutenu Marine Tondelier lors d’un conseil municipal, après la publication de son ouvrage Nouvelles du Front (3), consacré à la gestion de la ville. Spécialistes des procédures bâillons, Laurent Morel, Steeve Briois et Marine Le Pen elle-même, députée de la circonscription depuis 2017, ont attaqué pas moins de 18 passages de l’ouvrage (le procès aura lieu en septembre). Et ont fait jouer la « protection fonctionnelle » des élus et fonctionnaires territoriaux, qui permet de faire prendre en charge les frais de justice et d’avocats… par le budget de la ville !
David Noël en est ainsi à son huitième procès intenté par Steeve Briois et le RN local. Sur les sept précédents, il a été relaxé six fois et condamné une seule fois à une amende de 1 euro symbolique pour une question de procédure. Membre de la LDH et d’Attac-62, cet enseignant, adepte du « front républicain » contre l’extrême droite, est sans arrêt nommément visé dans les tracts, le journal municipal et toute la littérature mortifère du RN local. Il a toutefois réussi à faire condamner la municipalité au nom de la laïcité pour la crèche de Noël érigée fin 2015 au sein de l’hôtel de ville. Sans aucun doute fatigué par ces luttes incessantes, il ne se représente pas cette fois-ci et veut aujourd’hui poursuivre ses recherches en histoire politique contemporaine.
Cependant, malgré la violence et les attaques constantes de la part de l’extrême droite dans cette ville qu’elle considère comme son « laboratoire politique », Marine Tondelier, pas plus que son équipe, ne cède rien aux bataillons rassemblés derrière Marine Le Pen, toujours prêts à jouer de la pire démagogie auprès de l’électorat de la commune. Car, comme le rappelle fréquemment l’élue écologiste, « être engagé·e ici, c’est un vrai sport de combat ! »
(1) Maire de 2001 à 2009, Gérard Dalongeville a été poursuivi pour détournement de fonds publics, favoritisme, usage de faux et corruption passive. Il a été condamné le 19 août 2013 à quatre ans de prison, dont trois ferme.
(2) Outre celle du RN, deux autres listes se préparent pour l’instant, l’une emmenée par un ancien militant du MoDem, l’autre par un notable local qui semble briller par son amateurisme…
(3) Nouvelles du Front. La vie sous le Front national, une élue de l’opposition raconte, Marine Tondelier, Les liens qui libèrent, 2017.