Eyal El Wahab : Un son chaud, éclatant et irrésistible
Le musicien israélien Eyal El Wahab, entouré de son groupe, revisite avec force les racines musicales de son pays d’origine, le Yémen.
dans l’hebdo N° 1589 Acheter ce numéro
El Khat, le kat. Le kat est cette plante qui pousse dans la péninsule arabique, dont les habitants, au Yémen en particulier, mâchent les feuilles pour leur effet à la fois stimulant et euphorisant que l’on dit proche des amphétamines. C’est aussi le nom du groupe d’Eyal El Wahab, qui sort son premier album. D’origine yéménite, El Wahab, dont la famille a émigré en Israël, où il vit, charpentier de formation, a surtout derrière lui une carrière de violoncelliste dans le Jerusalem Andalusian Orchestra et de leader d’un groupe d’inspiration flamenco. Il a formé El Khat en réunissant des musiciens d’origines irakienne, marocaine et polonaise pour explorer les musiques de son pays d’origine, aujourd’hui dévasté par la guerre et la famine.
L’album soulève l’auditeur ou l’auditrice de son fauteuil dès les premières secondes et ne lui laisse plus l’occasion de se rasseoir. Comme si les musiciens tenaient à montrer d’emblée de quel bois ils se chauffent. Ou plutôt de quel métal. Car une autre particularité d’El Khat est d’utiliser en partie des instruments fabriqués par Eyal El Wahab à partir de matériaux de récupération d’objets du quotidien : boîtes et bidons métalliques, roues de vélo… Entre art brut et artisanat. S’y ajoutent des instruments plus conventionnels : cuivres très présents, guitares, darboukas et un orgue dont le son rappelle étrangement les bons temps des groupes garage et psychédéliques des années 1960, mais également cette merveilleuse soul éthiopienne.
Cet ensemble produit un son brut, direct, chaud et sec, éclatant et irrésistible. Peut-être subsiste-t-il dans ces instruments une mémoire de leur fonction première, de la matière de leur origine dont ils gardent une certaine rudesse. S’en dégagent une énergie et une force qui emportent l’auditeur·trice.
Les percussions mènent la danse – mais on devrait sans doute plutôt dire la transe –, les corps bougent, les voix s’envolent, flottent, planent au-dessus des instruments, plaintives et fières. Les cuivres ne sont pas en reste. On pourra penser, dans l’utilisation qui en est faite sur un titre comme « Atabina Part II », à ces fanfares balkaniques hautes en couleur et en énergie. Ailleurs, on croira entendre sonner un grand orchestre comme si, par quelque magie, les instruments se multipliaient.
Pas besoin évidemment de connaître la musique yéménite en profondeur pour apprécier celle qui figure sur ce disque. Peut-être une certaine curiosité, une envie d’explorer d’autres horizons et de trouver une intensité pas si fréquente. La récompense n’est pas au bout du chemin mais dès le début et tout du long. Disons que celles et ceux qui ont aimé les musiques touarègues ces dernières années sont les premier·ères auxquels il faut recommander un disque qui pourrait bien les consoler de n’avoir pas trouvé leur compte dans le dernier album de Tinariwen.
Saadia Jefferson, El Khat, Batov Records.