La diplomatie scabreuse d’Emmanuel Macron
Contrairement à ce que croit Macron, la faiblesse – bien réelle – de la Russie n’incite pas le président russe au dialogue, sauf pour donner le change. Elle le porte au contraire à une fuite en avant nationaliste. Un classique de l’histoire.
dans l’hebdo N° 1592 Acheter ce numéro
Ce n’est pas un Guernica, mais dix, mais vingt, qui se déroulent aujourd’hui dans le Nord-Ouest syrien. Les villes martyres de la région d’Idlib n’ont pas de noms familiers à nos oreilles comme la ville basque anéantie en 1937 par l’aviation nazie. Elles n’ont pas de Picasso. Elles sont loin de nous, de nos soucis de l’instant, la réforme des retraites, le coronavirus. Les images qui nous parviennent sont rares et répétitives. On voit d’interminables cortèges qui tentent de fuir vers le nord, en direction d’une frontière turque cadenassée, et des enfants qui meurent de froid quand ils ne périssent pas sous les bombes russes. Il y a longtemps, en vérité, que nous avons fait le deuil de la Syrie. Les uns se taisent pour ne pas avouer leur impuissance. Les autres, une partie de la gauche, se taisent par choix idéologique. On ne peut quand même pas approuver, mais on ne veut pas condamner. Antiaméricanisme, antilibéralisme, antiterrorisme de propagande, que sais-je ? Mais quelle idéologie obtuse et sordide peut justifier Idlib ? Car le scénario est connu. L’aviation russe bombarde à tout va, les rues, les écoles, les hôpitaux, les maternités, interdisant le moindre sanctuaire, et privant la population de tout refuge. C’est la stratégie du tapis de bombes qui a fait le succès de Poutine en Tchétchénie. Une technique déjà éprouvée sur Alep à partir de 2015. Le massacre venu du ciel ne s’interrompt que pour permettre aux troupes de Bachar Al-Assad d’achever le travail sur le terrain. L’enjeu ? La liquidation de toute forme de résistance dans cette dernière poche rebelle. Comme si toute la population était affiliée aux jihadistes de Hayat Tahrir Al-Cham.
Les rares humanitaires qui sont encore dans la région, principalement les Casques blancs syriens, avouent n’avoir jamais assisté à une tragédie d’une telle ampleur. En neuf années de guerre civile, la Syrie n’en a pourtant pas manqué. Décrivant l’exode de centaines de milliers d’habitants, démunis dans un froid glacial, un responsable du Norwegian Refugee Council, parle du « pire déplacement de population de notre génération ». Et côté diplomatique, quoi ? Rien ! Pas même une voix forte pour le principe. Personne pour briser les codes feutrés de la diplomatie, comme si les événements d’Idlib appartenaient à un monde définitivement brutalisé qui a fait son deuil du droit. C’est tous les jours Munich.
Un homme pourtant n’est pas complètement inerte : Emmanuel Macron. Non sans hésitations et contradictions, il s’obstine dans une entreprise paradoxale de rapprochement avec Poutine. Lorsqu’il a reçu le président russe au fort de Brégançon, au mois d’août, les bombes ne pleuvaient pas encore sur Idlib, mais elles avaient déjà anéanti Alep-Est. Le pari était de ramener la Russie à de meilleurs sentiments. On voit ce qu’il en est. Le calcul n’est pas forcément absurde à long terme. Le président français estime que la Russie, dans un rapport d’infériorité avec la Chine, et en état de grande faiblesse économique, n’aura pas d’autre issue que celle d’un partenariat avec l’Europe. Emmanuel Macron a cru tenir la confirmation de sa stratégie, lorsqu’en septembre le Russie a procédé à un échange de prisonniers avec l’Ukraine, dont le cinéaste Oleg Sentsov. Mais rien n’indique aujourd’hui que le conflit du Donbass soit en voie de résolution. Et Macron se perd en contradictions, tantôt faisant le constat que les sanctions économiques sont inefficaces, et tantôt préconisant qu’elles soient quand même maintenues.
La vérité, c’est que Macron et Poutine ne parlent pas de la même chose. Le premier prophétise un avenir aussi hypothétique que lointain, tandis que le second n’a qu’une obsession : la préservation de son pouvoir ici et maintenant. Ce qu’on appelle une différence de temporalité. Contrairement à ce que croit Macron, la faiblesse – bien réelle – de la Russie n’incite pas le président russe au dialogue, sauf pour donner le change, ni à aucune forme de résipiscence. Elle le porte au contraire à une fuite en avant nationaliste. D’où une intense militarisation, et un usage illimité de la force partout où ça lui est possible. Cette tendance nationaliste à la surenchère est un classique de l’histoire. Le pire, c’est que cette évidence n’échappe pas complètement pas à Emmanuel Macron. Dans son interview à The Economist, en novembre dernier, il prédisait que la Russie va continuer à « essayer de déstabiliser les démocraties occidentales ». Il décrivait même, avec cette légèreté technocratique à quoi on le reconnaît dans tous les dossiers, une Russie qui « optimise son jeu en Syrie par nos propres erreurs » (sic). Le seul choix des mots témoigne de la déconnexion d’avec la réalité.
Et voilà que la situation en Syrie est lourde d’un autre péril. Erdogan brandit la menace d’une intervention directe si les quelques milliers d’« observateurs » turcs, toujours présents près d’Idlib, sont attaqués par l’armée de Bachar Al-Assad. Ce que Poutine, grand protecteur du dictateur syrien, ne peut laisser faire. C’est un peu « retenez-moi ou je fais un malheur », car si le président turc est du même métal nationaliste que son alter ego russe, il n’a pas les moyens de son discours. Il n’en reste pas moins que la situation est hautement inflammable. Mais, dans tous les cas, ce sont les Syriens qui meurent, ou sont contraints de fuir leur pays. Et ceux qui survivront, que vont-ils faire de leur désespoir ?
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